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Looking forward, looking back: ICC Bemba case continues

Perspectives et rétrospective : l’affaire Bemba devant la CPI se poursuit

Avec Margot Tedesco

A peine remis de nos activités autour du verdict et de la peine dans l’affaire Bemba, voilà que l’affaire arrive en  phase d’appel et de réparations. En reflétant sur ces derniers mois intenses, le moment du verdict me vient à l’esprit :

Kinshasa. Il est 16h15. Je viens d’arriver dans la salle que nous avons louée pour l’occasion, les bras chargés de communiqués de presse.  Notre bureau n’est pas adapté pour de tels événements. Mon collègue Patrick vient à ma rencontre. «  Margot, certains journalistes sont là depuis 15h. » « Les invitations disaient bien 16h30 pourtant ».  Les invitations avaient été envoyées par SMS à midi. Heureusement que nous avions prévu une fontaine d’eau. La salle est à moitié pleine. Patrick est arrivé plus tôt pour l’apprêter. Le drapeau de la CPI est accroché. Les chaises sont en place. La sonorisation est installée. La salle continue de se remplir peu à peu. Dans 15 minutes, nous allons commencer la conférence de presse.  

Un peu moins d’une heure avant, s’est clôturée à la Haye l’audience du verdict dans l’affaire Le Procureur contre Jean-Pierre Bemba Gombo. A peine l’audience achevée, vers 15h30, mon téléphone a commencé à sonner. « Venez à la conférence de presse, je pourrais répondre à toutes vos questions », je réponds aux journalistes qui m’appellent. J’ai peu de temps pour lire la décision, la comprendre, écrire le texte que je vais lire, imprimer les communiqués et me rendre à la conférence de presse. Je dois me concentrer. 

Contrairement à ma première conférence de presse avec la CPI, cette fois-ci, je n’ai pas dû réviser l’affaire : je la connais bien. Juin 2008 : arrestation. Novembre 2010 : Ouverture du procès ; Novembre 2014 : Déclarations de clôture ; Poursuivi pour 3 chefs de crimes de guerre, 2 chefs de crimes contre l’humanité.  5229 victimes participantes ; 2004 : la République centrafricaine saisit la Cour. 

L’ouverture de l’audience avait été fixée à 14h par la Chambre. Il est impossible de prévoir combien de temps les audiences durent, mais nous avions estimé que planifier une conférence de presse à 16h30 était raisonnable. Plus tard, nous n’aurions eu aucun ou peu de journalistes. Si l’audience devait durer plus longtemps que prévu, nous les ferions attendre. Tant pis. Il nous faut au moins 30 minutes pour se préparer. Nous ne pouvons pas faire autrement : nous devons nous assurer qu’ils aient toutes les informations nécessaires très rapidement, en espérant qu’ils aient le temps de les intégrer dans le journal du soir. C’est la difficulté et les incertitudes auxquelles nous sommes confrontés lorsque les audiences ont lieu les après-midis. Heureusement qu’en cette période de l’année, nous sommes sur le même fuseau horaire que La Haye. A Bunia, dans l’est du Congo, qui a une heure de plus, la conférence de presse n’a pas pu se tenir le jour même, mais le lendemain.  

Cinq minutes. Dans cinq minutes, on va commencer. Je monte derrière le pupitre. Je compte rapidement. 25, peut-être 30 journalistes. J’en reconnais certains, mais d’autres sont absents. Il y a également d’autres personnes, principalement des représentants d’Ambassades dont le Représentant de l’Ambassade de la République centrafricaine en RDC. Je m’attendais à un peu plus de monde, mais les principaux sont là.

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Looking forward, looking back: ICC Bemba case continues

Le chef de Bureau s’approche de moi. « On vient de recevoir par e-mail la déclaration du Procureur concernant le verdict », me dit-il en me tendant son téléphone. Trop tard, on ne pourra pas la distribuer en main propre après la conférence. Je la distribuerai par e-mail une fois de retour au bureau. Je parcours la déclaration et je repère un ou deux paragraphes que je lirai à la fin de la conférence afin que les journalistes puissent rentrer dans leurs rédactions avec le plus d’éléments possibles. L’accès des journalistes à Internet est irrégulier. Lorsque nous le pouvons, nous donnons les versions papier. 

Jean-Pierre Bemba n’était pas jugé pour des crimes commis en RDC, mais en Centrafrique. Il est Congolais et une figure politique du pays. L’atmosphère de la salle est par conséquent totalement différente à l’ouverture du procès contre Bosco Ntaganda.

Toutes les caméras et les micros sont devant moi. Je lis le texte que j’ai préparé et qui annonce le verdict. Première question : je ne vois pas d’où vient la question, j’entends juste une voix.  Je ne vois plus personnes, seulement un mur de caméras à 50 cm de moi. Certains journalistes semblent déçus du verdict. Je le comprends par les questions qu’ils me posent.  Parfois je profite d’un trou dans le mur pour regarder la personne qui m’a posé la question.  Peu importe si les décisions des juges plaisent ou non : nous, nous sommes là pour les expliquer. 

Le lendemain, le verdict fait la Une de la presse kinoise. Je lis les titres dans les mains des marchands ambulants qui vendent la presse écrite aux feux rouges. « Madame, je vous ai vue à la télévision hier  », me dit une femme dans la rue. « C’était comment ? Est-ce que j’ai été claire ? Vous avez compris ? ». « Oh moi, je n’y comprends rien à ces histoires de justice», me répond-elle. Je me suis promise de relever le défi pour rendre la CPI plus accessible à la population de RDC. 

Au cours des semaines suivantes, nous avons analysé la presse pour voir comment l‘information a été traitée et rectifié les erreurs ou imprécisions dans son traitement. Cela nous a aidés à identifier les messages qui doivent être précisés lors de nos interventions et de nos futures formations pour les journalistes. Cette fois-ci, pas de grosses erreurs, parfois des imprécisions et confusions sur l’utilisation du vocabulaire juridique, mais rien qui nécessite que nous intervenions. Si. Une seule intervention : demander à ce que les propos haineux, sexistes et racistes à l’encontre de la Procureure soient effacés des commentaires des Internautes  de la page Facebook d’un grand média. 

Depuis lors, la peine a été prononcée ; M. Bemba a été condamné à 18 ans d’emprisonnement et l’affaire entre désormais en phase d’appel et de réparations. Le moment fort que je retiens de ces audiences pour les communautés affectées par les crimes est celui du prononcé du verdict de culpabilité à l’encontre de l’accusé. Nous continuerons à suivre les procédures et informer les communautés affectées, et à  rencontrer la presse à des moments clés de l'affaire.