Bunia: la campagne « un jour à l’école de la CPI » touche plus de 900 élèves
Avec Nicolas Kuyaku
Entre novembre et décembre, j’ai visité les classes de terminale de cinq écoles de Bunia, Province de l’Ituri, à l’Est de la République démocratique du Congo pour mener la campagne « Un jour à l’école de la CPI ». Pendant ces sessions, plus de 900 élèves, âgés de 17 à 23 ans, et leurs enseignants, ont pu poser des questions sur la création, les compétences et le mandat de la Cour. L’objectif de toutes ces sessions pédagogiques est d’informer les élèves sur le rôle et la mission assignée à la Cour : lutter contre l’impunité dans le monde. Mais ce n’est pas le seul message. A travers cette campagne, nous essayons également de sensibiliser les jeunes contre le recrutement des groupes armés, qui sévissent encore dans la région.
Je commence toujours les sessions en demandant aux participants « Avez-vous déjà entendu parler de la CPI et à quelle occasion ? ». Cela permet de mettre en confiance les participants et d’ouvrir les discussions. Après avoir répondu aux questions, je projette un extrait de l’audience de confirmation des charges dans l’affaire Le Procureur c. Bosco Ntaganda. La vidéo intéresse beaucoup les élèves car elle montre des enfants au sein de milices.
Pendant une projection, un élève a reconnu le paysage de Rwampara et l’entourage de l’aéroport de Bunia qui avaient servi de camps d’entrainement pour l’enrôlement des mineurs pendant les conflits armés. Cela m’a permis d’insister que l’enrôlement et l’utilisation des enfants de moins de 15 ans est un crime, reconnu par le Statut de Rome. J’ai alors demandé, si les élèves connaissaient, dans leur entourage, des personnes qui avaient été enrôlées.
J’ai alors été très surpris. Une élève, âgée de 23 ans, a voulu partager son histoire : elle avait été enrôlée au sein d’un groupe armé.
« J’ai contribué au succès du groupe auquel j’appartenais en gérant la logistique militaire pendant les affrontements avec d’autres groupes armés dans la région », a-t-elle déclaré. Toutefois, elle a ajouté : « Je regrette d’avoir interrompu mes études. J’ai aussi été exposée aux diverses sollicitations des Kadogo (enfants soldats) qui tenaient à me prendre en concubinage. Pour me protéger, j’ai quitté le groupe et j’ai rejoint un de mes oncles ». Elle termine en disant « Je fais ce témoignage juste pour attirer votre attention sur les conséquences de l’enrôlement dans les milices. C’est une ie qui prive de tous les droits dont tous les enfants devraient jouir, notamment de la protection sociale, des études …. Ceci est ma contribution à la lutte contre l’utilisation forcée des mineurs dans les groupes armés. Il ne faut pas accepter l’enrôlement quelles que soient les conditions. »
A la fin de son témoignage, tous les élèves ont salué son courage de partager sa propre expérience vécue au sein de la milice. Pour ma part, j’entends beaucoup d’histoires similaires dans les communautés.
Dans une autre classe, un jeune garçon a raconté comment il avait fait ses débuts dans une milice de la place. « J’ai décidé de rejoindre la milice car tous mes parents avaient été tués pendant le conflit armé. Je n’avais plus de soutien familial. Le commandant en charge des opérations m’a accepté comme nouvelle recrue et m’a confié la tâche de transporter les munitions et autres effets militaires. J’ai pris part active aux hostilités. J’ai tué aussi des êtres humains. Ce n’est pas de ma faute. C’était un service commandé et je devais aussi venger les miens. »
Un enseignant a demandé la parole pour fustiger le comportement de seigneurs de guerre qui continuent encore à recruter des enfants dans les groupes armés encore actifs dans la région. « Seule la justice peut libérer et protéger la dignité humaine. La RDC doit se joindre aux efforts de la CPI afin de lutter efficacement contre ce fléau qu’est l’enrôlement des mineurs », a-t-il ajouté. Lorsque à mon tour j’ai conclu que la place d’un enfant c’est en famille ou à l’école et non dans les groupes armés, tout le monde a applaudi.
Les témoignages ont suscité un vif intérêt et ont permis de lancer des discussions très riches sur les droits des enfants, l’enrôlement d’enfants par les groupes armés et le sort des milliers de victimes en Ituri.
J’ai l’habitude de montrer l’exposition « Une affaire de justice », une collection de photographies qui reprend un ensemble de réalisations de la CPI et du Fonds au profit des victimes en faveur des communautés affectées. Cela me permet de conclure les sessions. Les jeunes ont montré un intérêt particulier pour les photos de Bunia, et y ont vu une preuve que la Cour comprenait vraiment leurs circonstances. Les élèves et enseignants ont exprimé quelques frustrations ou préoccupations quant au travail de la CPI et tout particulièrement sur la lenteur des procédures judiciaires, l’identification des victimes et le retard dans la matérialisation des mesures des réparations en Ituri, mais dans l’ensemble, à la fin de chaque session, je suis toujours ému et heureux que les élèves aient été si captivés par le travail de la Cour et aient eu autant de questions.
Et bien évidemment, pour moi, que les messages contre l’enrôlement des enfants aient suscité autant d’unanimité et de soutien. Cela montre que toutes ces interventions peuvent avoir un effet positif sur les jeunes, qui du reste, ont promis de soutenir le travail de la Cour.