Image
Info sessions in Mali

Échanges entre la CPI et les communautés de Tombouctou : une première dans la ville mythique

Avec Mohamed Salaha

« Tombouctou, ville mythique et mystérieuse, cité célèbre du savoir, cité des 333 Wali (saints)… ». C’est là que je suis né et où j’ai fréquenté l’école jusqu’au baccalauréat. Une ville qui m’a tout donné et à laquelle je dois tout aussi, que je visite régulièrement. Mais après une année d’absence, je reviens à Tombouctou accompagné de deux collègues. Non pas comme un simple citoyen en visite chez soi, mais comme fonctionnaire de la Cour pénale internationale (CPI), que j’ai rejoint récemment, avec une lourde tâche à accomplir : une mission d’une dizaine de jours de sensibilisation de la population sur le travail de la Cour au Mali. Quel défi ! C’est une grande fierté pour moi, un fils de la médina, d’accompagner chez moi une mission composée de fonctionnaires internationaux, sur un terrain dont je maitrise parfaitement la culture et l’approche pour toucher chaque partie de la population. 

C’est aussi la première fois qu’une équipe de sensibilisation de la CPI rencontre les populations de Tombouctou qui ont subi de plein fouet l’occupation des groupes Ansar Eddine et Al‑Qaïda au Maghreb Islamique. La Cour juge actuellement les crimes graves qui auraient été commis pendant cette période.

L’équipe de sensibilisation de la CPI est active au Mali depuis plusieurs années pour expliquer le mandat de la CPI aux populations maliennes. Elle organise des sessions d’information avec les différentes communautés afin de permettre aux Maliens de mieux comprendre le travail de la CPI et les affaires liées à la situation au Mali, notamment les affaires Al Mahdi et Al Hassan. Notre travail de sensibilisation se concentre sur la société civile, les autorités, les médias et le milieu scolaire, entre autres.

Image
Info sessions in Mali

Lors de notre visite à Tombouctou, ma connaissance du milieu ainsi que les bonnes relations que j’entretiens localement ont facilité l’accès aux autorités de la ville et aussi leur accompagnement à nos initiatives. Le premier jour de la mission, nous avons facilement rencontré les autorités pour leur expliquer les objectifs de notre présence à Tombouctou : informer les populations sur la Cour et les affaires concernant le Mali. Ils ont accepté de soutenir notre mission après une brève visite de courtoisie dans leurs locaux respectifs.

Réussir cette mission fut une tâche difficile mais passionnante. Un franc succès a couronné toutes les activités menées dans la ville du célèbre savant Ahmed Baba. Malgré l'insécurité grandissante dans la localité et la menace terroriste, nous avons pu tenir nos activités en toute quiétude avec l'appui sécuritaire de la MINUSMA, la mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali.  

En effet, parler de la CPI, du jugement Al Mahdi et du procès Al Hassan pourrait nous exposer à des risques. Des cellules dormantes des groupes armés pourraient encore être présentes à Tombouctou ou à ses alentours. C’est pourquoi il nous a fallu beaucoup de vigilance tout au long de la préparation des activités. 

Tombouctou est une ville située à la porte du désert, sous un soleil de plomb et une forte chaleur, et classée en zone rouge parmi les localités déconseillées pour les étrangers. Notre mission de sensibilisation à Tombouctou a été minutieusement préparée pendant plus d’un mois. Pour l’identification des participants aux rencontres, il m’a fallu user de mon expérience de fils originaire de la Cité qui a une connaissance ancrée de la société civile de la région pour assurer une participation représentative et inclusive. Chose appréciée par l’autorité intérimaire de Tombouctou présente à l’une des rencontres : « Le ciblage a été bien fait, et la région de Tombouctou est bien représentée dans cette salle. Tout ce qui a été dit dans cette salle sera transmis aux bases ». 

De ce fait, nous avons rencontré pendant 10 jours de nombreux groupes et différentes communautés : médias, leaders religieux et groupe de la société civile, entre autres, pour échanger sur la CPI. 

Image
Info sessions in Mali

 

Des participants comblés

Parmi les membres de la société civile, nous avons rencontré la minorité chrétienne de Tombouctou, une communauté dans une ville à 99% de confession musulmane. Les autres leaders religieux ont été rencontrés lors d’autres réunions tenues durant notre visite. Les leaders de groupes religieux chrétiens sont venus pour échanger avec nous librement, dans le cadre de l’ouverture de la présentation des moyens de preuve de la Défense dans le cadre de l’affaire Al Hassan. C’est avec beaucoup d’attentes, de curiosité et de joie qu’ils sont venus nous rencontrer. « C’est la toute première fois que nous rencontrons une délégation de la CPI, et nous sommes impatients de savoir ce que vous allez nous dire », a laissé entendre un des Pasteurs avant le début de la rencontre. 

Au menu de la rencontre : des projections vidéo sur le déroulé des audiences à la Haye, des fiches sur les affaires Al Hassan et Al Mahdi et des sessions d’échanges qui ont permis aux participants de comprendre le déroulement des audiences à La Haye. Un des Pasteurs a notamment été impressionné par la description de la situation de Tombouctou en 2012 pendant le règne des groupes armés par l’ancienne Procureur, Fatou Bensouda, lors de sa déclaration liminaire dans l’affaire Al Hassan. Les participants ont également pu apprécier les mesures de protection des témoins et les moyens déployés pour la tenue des audiences. Toutefois, certains participants se sont dit choqués par les « bonnes conditions » de détention des accusés au quartier pénitentiaire de la Haye.  

Je suis fier de ce que notre équipe a accompli pendant cette mission et de son impact, répondant aux préoccupations des habitants qui avaient des incompréhensions sur le travail de la Cour au Mali. J’étais comblé d’avoir été de cette équipe qui a défié l’insécurité pour être plus proche de la population de Tombouctou.  

Image
Info sessions in Mali

À la fin d’une de nos rencontres, un participant s’approche et me dit : « Aujourd’hui la CPI nous a offert un plateau pour nous exprimer. Nous sommes contents et nous vous en remercions ». 

Lorsque cet homme m’a sifflé ces propos, j’étais encore plus fier de mon travail. Je me suis dit que nous sommes en train de donner la parole à ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui doivent s’exprimer.