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Behind the scenes of a broadcast: Al Hassan verdict viewed live in Bamako

Dans les coulisses d’une retransmission à Bamako : verdict dans l’affaire Al Hassan

Le 26 juin 2024 était rendu le jugement de la Chambre de première instance X de la Cour pénale internationale (CPI) dans l’affaire Al Hassan concernant des crimes commis entre 2012 et 2013 à Tombouctou, dans le nord du Mali. Un jour important pour beaucoup de personnes au Mali, et aussi pour nous, l’équipe de la sensibilisation, avec notamment l’organisation de la retransmission en direct du verdict à Bamako.  

Un verdict est un moment important dans le processus judiciaire. Assister en direct à la lecture du jugement rend ce moment encore plus solennel et participe à la transparence de la justice. 

L’organisation de la retransmission a été très intense, certes avec son lot d’imprévus, mais rien d’insurmontable. Beaucoup d’adrénaline et puis, une fois la pression retombée, une certaine satisfaction. 

Voici le récit d’un travail d’équipe, de Julien, Margot et Tejanie, pour permettre une retransmission de La Haye à Bamako.  

J-2 – 15h00 (heure de Bamako) : Première rencontre 

Julien : 

Je rencontre l’attaché commercial de la salle de conférence de l'hôtel où nous organisons la retransmission du verdict pour régler toute la logistique : du nombre de sièges aux micros, en passant par les boissons, je ne veux rien oublier. On nous surprend en proposant un écran géant, plus grand et de meilleure qualité qu’un projecteur. Nous sommes conquis.

J-1 – De 15h00 (heure de Bamako) à minuit : Touches finales 

Julien : 

Il est environ 15h00. La salle sera à notre disposition à partir de 17h00, pratique pour les derniers préparatifs. Les techniciens s’affairent à tout mettre en place pour le lendemain. Je me dis que tout est sous contrôle, que nous aurons assez de temps le matin pour les touches finales.  Nous avons prévu d’y être dès 8h00 du matin. 

21h17 : Dans ma chambre d’hôtel, je finis d’assembler les kits de presse, une cinquantaine de pochettes d'information, aux couleurs de la CPI à distribuer après le prononcé du verdict.

23h49 : Je relis une fois de plus le programme de la journée de demain. Je sais que nous sommes prêts mais je n’arrive pas à m’endormir. Pourquoi alors ne pas mettre ce temps à profit ? Je me rends à la salle pour transporter le matériel restant. Elle est sombre désormais, impossible d’allumer les lumières ; je me guide avec la lueur de la rue que les fenêtres laissent passer. Cette fois tout est prêt.

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D-Day - 8:00 a.m. (Bamako time), 10:00 a.m. (The Hague time): Setting up

Jour J – 8h00 (heure de Bamako, 10h00 heure de La Haye) :  Mise en place 

Margot :  

J’arrive dans la salle. Une invitée est déjà là, arrivée tôt par peur d’être bloquée dans les embouteillages de Bamako. J’aide Julien à terminer l’installation de la salle sous les yeux de notre première invitée. Il y a deux heures de décalage avec La Haye.

  

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Setting up

Julien : 

Au fur et à mesure que les personnes arrivent, je les accueille et les invite à se servir à boire, à manger ou à s’asseoir. Je sens en elles un soupçon de timidité, une certaine tension. C’est compréhensible. Que vont décider les juges ? 

Margot et moi prenons quelques photos et vidéos – nous continuerons jusqu’à la fin de la séance, pour les publications sur les réseaux sociaux de la Cour, du déroulement de cette journée historique. 

9h30 : Bienvenus

Julien : 

C’est parti ! Margot commence. Maintenant que tout le monde est assis, je compte le nombre de participants. Environ 60 personnes.  

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Now that everyone's seated, I count the number of participants. About 60 people.

Margot : 

J’ouvre le micro du pupitre pour souhaiter la bienvenue à nos invités : des représentants de la société civile, des journalistes et quelques diplomates. La salle est pleine, mais la première rangée de chaises est vide. L’écran est-il trop grand ou les invités préfèrent-ils se faire discrets face aux caméras de télévision ? 

J’ai préparé une courte présentation pour introduire l’affaire et expliquer le déroulement de la matinée. Par expérience, on estime que la lecture du résumé du verdict devrait durer environ une heure.   

9h45 (heure de Bamako) - 11h45 (heure de La Haye) : Plus que 15 minutes 

Margot : 

J’ai fini ma présentation. Dans 15 minutes commence la lecture du verdict par le juge président de la Chambre, le juge Antoine Mindua. A 10h00 pile, soit 12h00 heure de La Haye. Certains journalistes ou membres de la société civile que je connais bien se rapprochent de moi pour me saluer.  

Je suis un peu anxieuse : je regarde l’heure toutes les 30 secondes.  

9h48 (heure de Bamako), 11h48 (heure de la Haye) :  

Tejanie :

Je suis dans mon bureau à La Haye. L’Unité audiovisuelle pour laquelle je travaille à tous les équipements nécessaires pour organiser des retransmissions en direct quand nous recevons des demandes des chargés de sensibilisation. J’appuie sur le bouton pour lancer le direct du verdict sur Facebook et YouTube.  Ça y est, nous sommes en direct.  

J'utilise mon téléphone pour vérifier que la connexion fonctionne bien. Je mets en place des retransmissions en direct depuis des années. Mais à chaque fois, je stresse. Parfois, il y a un problème technique : la connexion Internet ou la plateforme de diffusion ne fonctionne pas. Il faut alors que je réagisse très vite pour trouver d’où vient le problème et le régler.  

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Behind the scenes of a broadcast: Al Hassan verdict viewed live in Bamako

Margot : 

J’ouvre la page YouTube sur l’ordinateur. L’image de la Cour se duplique sur le grand écran. 

Tout d’un coup, l’écran devient noir. L’écran s’est déconnecté de mon ordinateur. Panique. Je regarde Julien et lui demande d’appeler le technicien. Il arrive, change un paramètre sur mon ordinateur. Ça remarche.

10h00 : La salle d’audience apparaît sur le grand écran. Le brouhaha disparait soudain. 

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The courtroom appears on the big screen.

Julien : 

J’ai assisté à plusieurs audiences, de verdicts notamment. Pour moi, le silence du début est toujours le même : pesant, émouvant, comme un rappel de ce qu’est le devoir de la justice.  

Malgré le silence, on imagine les questions qui se posent dans toutes les têtes. Je me pose des tas de questions moi-même : y aura-t-il d’autres soucis techniques ? Ai-je bien pensé à tout ? Le verdict sera-t-il satisfaisant pour les gens présents ; et pour ceux à Tombouctou ? 

Tejanie : 

Mon téléphone n’a pas encore sonné. « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». Sur les réseaux sociaux de la Cour, des photos de la retransmission en direct à Bamako sont publiées. Je vois le grand écran et la salle d’audience. Tout semble bien se passer comme prévu. 

Quelle heure est-il ?

Margot : 

Je suis le verdict avec attention. Il est complexe. Je lève la tête de mon cahier où je prends des notes et je regarde la salle. Certains filment le verdict avec leurs téléphones depuis le début de l’audience. Je vois parmi nos invités une certaine impatience. Quelle heure est-il ? Je regarde ma montre. La lecture du résumé du jugement est plus longue que ce que nous avions planifié.  Il n’y a pas eu de décision unanime. Chaque opinion dissidente est brièvement argumentée. 

Julien : 

Je me trouve à l’arrière de la salle au moment où le juge Mindua s’apprête à signifier à M. Al Hassan les crimes pour lesquels il est reconnu coupable. M. Al Hassan se lève de son siège. Des téléphones se hissent au niveau de l’écran géant ; le mien aussi. Nous ne voulons pas perdre une seconde de ce moment solennel. 

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Behind the scenes of a broadcast: Al Hassan verdict viewed live in Bamako

11h41 : Les juges se lèvent.  

Tejanie :

J’appuie sur le bouton pour mettre fin à la retransmission. C’est un moment satisfaisant, celui où je mets fin au direct et où tout s’est bien passé, sans problème technique. 

Margot : 

L’audience est finie. Je m’approche du pupitre. La session de questions et réponses commence dans 5 minutes, le temps d’imprimer le communiqué de presse que nous venons de recevoir. Il y a du mouvement dans la salle. Certains partent. Les journalistes se rapprochent du pupitre.  

11h50 : Questions  

Margot : 

Je lis le communiqué de presse. Après les questions générales sur la procédure et les prochaines étapes judiciaires de l’affaire, d’autres questions, qui laissent entrevoir des réactions, me sont posées : « Pourquoi Al Hassan a été acquitté sur les charges de la destruction des mausolées et des violences faites aux femmes ? » ; « Ce qui fait mal, c’est l’impunité. Les victimes demandent réparation. Quelles mesures seront prises pour elles ? » ; « Comment comptez-vous informer les personnes se trouvant à Tombouctou ? » 

Je m’attendais à ces questions. J’y réponds en faisant référence au résumé du verdict. Les questions se tarissent. Il doit être environ 12h30. Il est temps de clore la session.  

Des journalistes s’approchent de moi pour des entretiens ou me demander les contacts des représentants légaux des victimes et de la Défense de M. Al Hassan. Un des représentants légaux, Me Doumbia, vient d’arriver dans la salle de conférence. Il a suivi le verdict depuis le Bureau de la Représentation de la CPI à Bamako. J’indique sa présence aux journalistes qui vont l’interviewer.   

Un peu plus tard, la salle est vide. Il ne reste plus que Julien et moi qui rangeons ce que nous avions mis en place quelques heures plus tôt. 

Julien : 

Le stress et l’émotion font place au silence. Tout s’est passé très vite après des semaines de préparation, d’anticipation. J’appréhende la sensation de fatigue quand la pression retombe. Alors je me presse de ranger, avec l’aide de Margot. 

Il s’agissait de ma première mission comme membre de l’équipe de sensibilisation. J’ai beaucoup appris durant ces quelques jours : les conseils prodigués par Margot, ou le simple fait de la voir gérer le direct ou les questions difficiles sont une vraie mine d’or. 

La pression, l'adrénaline, et enfin la satisfaction de voir tout se dérouler correctement renforcent notre conviction que l'accessibilité de la justice sont essentielles. Grâce à un véritable travail d'équipe de La Haye à Bamako, nous avons pu offrir à notre audience une expérience immersive et informative.  

La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être vue et comprise. C'est ce qui donne tout son sens à notre travail, nous pousse à aller de l'avant, inspirés par l'engagement et l'espoir de ceux que nous servons.