La Spécialiste en traumatisme

Après une expérience traumatisante, comment guérir ? Comment reprendre le contrôle ? Comment trouver du sens à sa vie en plein chaos ?

Je m'appelle An et je suis psychologue et spécialiste en traumatisme à la Cour pénale internationale.

Je dirige une équipe de psychologues et notre rôle principal est de veiller à ce que les témoins et les victimes puissent s'engager avec la Cour de manière significative, sans subir de préjudice psychologique. Une partie de notre travail consiste à évaluer les témoins et les victimes de la CPI, à les soutenir et, en particulier pour les enfants et les survivants de violences sexuelles dans les conflits, à recommander des mesures spéciales afin qu'ils ne soient pas à nouveau traumatisés devant la Cour.

Notre objectif est d'aider à les protéger, mais aussi à les aider à se concentrer sur leur témoignage afin que les juges puissent entendre les preuves et que justice puisse être rendue.

Témoignage et traumatisme

Le Statut de Rome de la CPI était innovant à bien des égards. Une chose sur laquelle ses auteurs ont insistée était de s'assurer que le poids psychologique du témoignage soit reconnu et traité. Dans le Statut de Rome, il est donc indiqué que, parmi le personnel de la CPI qui fournit « des mesures et dispositions pour assurer la protection et la sécurité des témoins et victimes qui comparaissent devant la Cour et des autres personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire courir un risque », il doit y avoir « des spécialistes de l'aide aux victimes de traumatismes, y compris de traumatismes consécutifs à des violences sexuelles ».

La mention explicite du traumatisme dans le Statut de Rome est extrêmement importante, car le problème du traumatisme est un thème très récurrent.

Il est très pertinent pour le travail de la Cour. Lorsque vous regardez les preuves, la plupart sont traumatisantes ; le contenu est traumatisant. Enfants soldats. Le viol utilisé comme instrument de guerre. Meurtre. Et bien plus encore.

Par définition, donc, lorsque vous demandez à des témoins de parler d'un crime qu'ils ont vécu, vu ou perpétré, vous leur demandez de parler d'événements traumatisants. Certaines personnes le surmontent, mais pour d'autres, en particulier celles qui ont été exposées de manière prolongée ou récurrente à des événements traumatisants, cela les affectera de manière très fondamentale. Donc, vous ne pouvez pas examiner le processus de témoignage dans un tribunal pour crimes de guerre ou à la Cour pénale internationale sans examiner la question du traumatisme ; à tous les niveaux, à tous les moments de l'implication d'un témoin, pour ainsi dire.

Qu'est-ce qu'un traumatisme ?

Imaginez-vous face à une crise où tout ce que vous connaissiez autrefois semble bouleversé – votre vie telle que vous la connaissiez a volé en éclats. Comme si vous perdiez soudainement un être cher dans un accident de voiture ou d'une maladie mortelle. Imaginez-vous maintenant que ce n'est pas seulement vous et vos proches qui êtes touchés, mais toute votre communauté, votre région et même votre pays. Et ce n'est pas à cause d'un accident ou de cause naturelle – mais à cause d'un crime intentionnel, généralisé et systématique.

Ce traumatisme est plus profond, plus enraciné ; l'instabilité est plus grande. Il est difficile de reprendre le contrôle. Il est très difficile de guérir, d'accepter, de trouver un sens et de trouver une trame de vie constructive ou de tirer des leçons d'actes de destruction intentionnelle et de violence. Mais c'est une façon d'avancer vers la guérison. C'est donc une grande partie de ce que les spécialistes en traumatisme aident les gens à faire.

Comment les psychologues travaillent-ils avec le traumatisme à la CPI ?

Idéalement, une personne touchée par des crimes aussi graves aura accès à différentes formes de soutien, allant de la famille et de la communauté à une aide professionnelle, si nécessaire.

Les psychologues travaillant dans des situations post-conflit – comme les lieux dans lesquels la CPI enquête – se consacrent à aider les gens à reconstruire leur vie.

Il existe un certain nombre de professionnels psychosociaux en partenariat avec le Fonds au profit des victimes, par exemple, qui travaillent au sein des communautés affectées. En fait, le monde a besoin de beaucoup plus de personnes travaillant sur le terrain et offrant un soutien psychosocial.

Mais les survivants ont souvent besoin de plus qu'un simple soutien pour guérir. Beaucoup d'entre eux veulent que leur histoire soit entendue. Ils demandent justice et veulent être impliqués.

Il y a donc des spécialistes, comme ceux qui travaillent à la CPI, qui aident les victimes et les témoins à s'engager dans les processus de justice d'une manière digne et significative, tout au long des différentes phases de leur implication. Contrairement aux professionnels sur le terrain, nous ne construisons pas de relations durables avec les personnes que nous évaluons et soutenons. Nous ne mettons pas en place un programme pour les accompagner tout au long de leur processus de guérison, qui prend très souvent de nombreuses années. Notre travail est plus à court terme et se concentre sur un moment critique de leur vie post-traumatique, et a donc souvent de grandes conséquences.

Nous servons le processus de justice. Nous disons aux victimes et aux témoins : « Nous vous apportons un soutien, car vous pourriez avoir des difficultés à raconter votre histoire, et vous pourriez subir un préjudice ou souffrir du fait que vous êtes une victime qui comparaît ou un témoin qui dépose devant la Cour. » C'est pour cela que nous intervenons.

Disons-le ainsi : un procès concerne des preuves, et une partie de ces preuves se trouve être l'histoire du pire moment de votre vie. Vous voulez partager cette preuve, mais pour ce faire, vous devez y faire face, y mettre des mots et la dire à voix haute à des inconnus dans un environnement très formel et non familier.

Cela peut être extrêmement difficile pour les témoins, mais ça peut aussi leur donner de la force, ou même les deux. Pour les accompagner tout au long de cette expérience, nous évaluons chaque témoin devant comparaître devant la CPI. Si nous constatons qu'un témoin est vulnérable, en particulier s'il a été victime d'un crime alors qu'il était encore enfant ou a survécu à des violences sexuelles, nous veillons à ce que les conditions adéquates soient créées pour lui permettre de témoigner d'une manière qui lui convienne. Nous recommandons aux juges d'ordonner des mesures spéciales pour aider à les protéger.

Mesures de routine c. mesures spéciales

Avec chaque témoin, je me pose toujours la même question : « Comment puis-je m'assurer que cette personne se sente suffisamment à l'aise pour témoigner ? ». Ce qui aide, c'est de leur faire sentir qu'ils ont le contrôle. De les familiariser avec ce qui est sur le point de se passer, afin que cela devienne prévisible. Pas de surprise, pas de distraction.

Pour être honnête, de petites choses peuvent souvent faire la différence. Connaître les horaires afin qu'ils puissent prévoir les pauses ou être habilités à demander des pauses. Savoir qu'ils peuvent demander qu'une question soit répétée s'ils ne l'ont pas bien entendue ou comprise. Savoir que quelqu'un sera là pour les aider s'ils ont besoin de se référer à un document juridique. Ces éléments donnent un sentiment de calme et de contrôle, et peuvent rassurer n'importe quel témoin.

Toutefois, les témoins vulnérables peuvent avoir besoin de mesures spéciales.

Par exemple:

  • Dans les cas de violence sexuelle, nous demandons aux juges de s'assurer qu'il n'y ait pas de questions inutilement intrusives, répétitives ou embarrassantes sur l'expérience traumatisante du témoin.
  • Si le témoin a peur d'établir un contact visuel avec l'accusé, nous pouvons demander qu'un écran soit placé entre eux, pour bloquer la vue.
  • Nous pouvons également recommander de modifier la configuration de la salle d'audience ou demander à entendre les preuves en visio-conférence, afin que le témoin n'ait pas à se déplacer jusqu'au siège de la Cour ou à s'asseoir dans la salle d'audience.
  • Nous pouvons demander au témoin : « Vous sentiriez-vous plus à l'aise avec une personne assise à côté de vous ? »
  • Nous pouvons demander à ce que les questions soient adaptées au niveau de compréhension du témoin.

Nous remettons nos recommandations à la Chambre, et les juges les approuvent ou non ; c'est leur décision.

Flashbacks

Il arrive parfois, et ce indépendamment des mesures spéciales et du soutien mis en place, qu'un témoin connaîtra des flashbacks ou d'autres réactions traumatisantes lors des entretiens ou lors de son témoignage.

Parler d'événements traumatisants fait resurgir ces expériences – parfois si vivement que l'on a l'impression de les revivre. Les images, les sons, la douleur physique peuvent tous revenir en un éclair. Ainsi, alors que les témoins essaient de raconter ce qui leur est arrivé, ils peuvent être dépassés et incapables de parler, parfois même avoir la sensation d'être ailleurs. Nous travaillons avec eux pour qu'ils gardent « les pieds sur terre », et restent pleinement dans le présent, afin qu'ils puissent se concentrer sur leurs témoignages.

Un flashback ne vient pas d'un souvenir normal. Ce n'est pas comme si je vous demandiez : « Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez l'année dernière à la même époque ? » Vous n'auriez qu'à y penser, récupérer le souvenir qui a été transformé en un récit dont vous pouvez facilement vous rappeler et le raconter. En revanche, s'il s'agissait d'un souvenir traumatisant, vous vous replongeriez totalement dans la situation – vos réactions physiques, vos réactions corporelles, vos réactions émotionnelles traduiraient l'information sensorielle qui a été « figée » dans le temps, non traitée, souvent dispersée – comme si vous étiez encore là au moment où cela s'est produit. Donc, vous êtes littéralement ramené dans l'instant et c'est très éprouvant physiquement car votre corps réagit avant votre cortex préfrontal, pour ainsi dire. Votre corps revit l'événement et se prépare à nouveau à affronter le danger.

Pour aider un témoin à éviter ou à gérer des réactions traumatisantes pendant son témoignage, nous lui demandons d'abord ce qu'il a l'habitude de faire lorsque cela se produit, car souvent il a déjà sa propre technique.

Nous demandons : « Que savez-vous déjà de vous-même ? Qu'est-ce qui aide ? Comment pouvons-nous vous aider ? ». Ensuite, nous pouvons leur apprendre des exercices de respiration et des exercices de retour à la réalité, en suggérant, par exemple, qu'ils se tiennent à la table lorsqu'ils sentent qu'ils s'éloignent, ou qu'ils prennent un verre d'eau ou un mouchoir – qu'ils fassent quelque chose de physique. Parfois ils savent, ou bien nous observons qu'ils adoptent une certaine posture pendant les flashbacks, donc s'ils arrivent à en avoir conscience et à changer de posture, ne serait-ce qu'en bougeant les pieds, alors ils peuvent par eux-mêmes revenir au moment présent. C'est le type d'intervention partagé dans la théorie du traumatisme.

Les gens alternent entre flashbacks et réalité et ça leur arrive aussi pendant leur témoignage. Parfois, c'est à peine perceptible; cela peut être très subtil. Mais parfois, cela peut aussi être très dramatique, et les gens ne sont tout simplement plus capables d'écouter ou de répondre. Ou bien ils peuvent devenir très anxieux ou émotifs à la barre des témoins. C'est alors aux juges d'analyser la situation et d'annoncer « Faisons une pause ». Habituellement, une courte pause suffit, car après quelques exercices de respiration, ou quelques minutes de repos, le témoin revient généralement à lui-même et est prêt à retourner dans la salle pour poursuivre son témoignage. Les témoins font aussi parfois des cauchemars ou ont d'autres types de réactions dans les jours ou semaines précédant ou suivant leur témoignage. Nous leur expliquons que c'est une réaction normale.

Trouver les mots

Au final, et idéalement, le témoignage d'un témoin peut le rendre plus fort et faire partie du processus de guérison. Tout comme le fait de raconter son histoire à un avocat qui peut le représenter en tant que victime dans une affaire. Mais ce n'est qu'une partie. La partie visible de l'iceberg. Ce qui est moins visible prend beaucoup plus de temps à traiter et est peut-être beaucoup plus important.

Entre le moment du traumatisme et le moment du témoignage, une personne doit traiter ce qui lui est arrivé et savoir mettre des mots dessus. Ce n'est pas toujours automatique.

Au moment du crime, la réaction du corps est si bouleversante qu'une personne peut entrer dans un état de choc. Pour essayer de se protéger, l'esprit peut « se figer » d'une certaine manière. Le cerveau est incapable de « connecter » ce qui est arrivé aux informations existantes, au monde qui l'entoure, alors que c'est normalement comme ça que nous traitons les informations, les apprenons et les retenons.

Les événements traumatisants sont souvent « impensables », de sorte que le processus normal de mise en mots est suspendu. La personne peut d'abord être dans une situation où il lui est impossible d'accepter qu'un tel mal lui soit arrivé, ou elle peut aussi refuser de croire qu'une autre personne puisse causer un tel mal. Elle peut également essayer d'éviter toute pensée ou rappel du traumatisme, qui peut être douloureux à se rappeler ou qui, selon elle, pourrait lui causer davantage de tort, comme si le danger n'était pas encore passé.

Cela peut donc prendre du temps pour reconnaître l'événement, et être disposé et capable de se concentrer et d'y réfléchir, avant de trouver des mots pour exprimer ce que l'on a vécu.

Le processus de récupération d'un traumatisme est donc axé sur la prise de conscience, l'expression des sentiments, la transformation des informations sensorielles en un récit cohérent, et la compréhension de ce qui s'est passé. Ce sont des étapes importantes vers l'acceptation et la guérison.

Le contexte plus large : une approche plus centrée sur les victimes

Selon moi, le rétablissement passe par un long processus. Il s'agit de reconstituer ce qui s'est passé. C'est physique, psychologique, linguistique... Cela touche tous les aspects de la personne en tant qu'être humain.

Si le témoignage devient difficile, de petits gestes comme prendre une gorgée d'eau ou tenir un mouchoir peuvent aider. Ces petits exercices de remise en contexte peuvent faire une grande différence, et c'est le type d'intervention partagé dans la théorie des traumatismes.

Qu'ils soient victimes ou auteurs ou témoins, nous leur parlons de sujets qui ont marqué leur vie, très souvent traumatisants, et qu'ils essayent encore d'intégrer dans l'histoire de leur vie. Au final, il s'agit de la façon dont ils se comprennent et trouvent un sens à leur vie.

Le processus public et judiciaire d'écouter preuves, d'interrogatoire et de contre-interrogatoire, d'arguments juridiques, et enfin de jugement aide les individus et les communautés à aborder les faits, à donner un sens à ce qui s'est passé, et à se tourner vers un avenir au-delà du traumatisme collectif, vers la guérison et l'espoir. Lorsque nous voyons la manière dont laquelle les communautés suivent les procédures, parlent des preuves qu'elles entendent, nous savons alors qu'un processus de rétablissement peut commencer, bien avant qu'il y ait un jugement, et même parfois quelle que soit l'issue des procédures.

Ainsi, même si l'objectif de la Cour en tant que tel n'est pas d'être thérapeutique, en menant à bien son objectif premier, ses activités peuvent avoir un effet bénéfique pour ceux qui participent au processus judiciaire et pour les membres des communautés affectées. Mettre en avant les faits, entendre des arguments et des contre-arguments et rendre un verdict est en soi une reconnaissance de la souffrance.

Et je pense que vous voyez bien que dans le contexte plus large de la justice internationale, l'attention n'est plus portée sur l'auteur mais sur la victime. À mon avis, nous nous concentrons très souvent sur les auteurs, et bien sûr la CPI joue un rôle ici en matière de justice punitive. Mais malgré tout, je pense que ce que nous faisons en tant que psychologues contribue progressivement à rendre l'ensemble du processus plus centré sur la victime. C'est ce qui me motive tous les jours.