Le protecteur

En matière de sécurité, on ne peut jamais vraiment relâcher son attention. Notre responsabilité est considérable et nous sommes donc toujours un peu sur le qui vive. Il faut toujours surveiller l’évolution de la situation, scruter les lieux en permanence à l’affût de dangers possibles, et être prêt à intervenir le cas échéant. Nous pensons à la sécurité des autres afin qu’ils n’aient pas à le faire eux-mêmes.

Je m’appelle Peter et je suis lieutenant à la Section de sécurité de la CPI.

Une salle d’audience sécurisée

On peut dire que notre travail commence par la sécurisation des salles d’audience et de leurs abords. Nous veillons à ce que tout le monde puisse travailler en sécurité dans la salle d’audience, notamment lorsque des témoins ou des personnes détenues s’y trouvent.

Sur les trois agents de sécurité présents en salle d’audience, un seul – celui qui se trouve près de l’estrade des juges – est responsable de la sécurité et du bien-être de toutes les personnes présentes dans la salle. Cet agent est parfaitement préparé, avec tout l’équipement nécessaire de sécurité, de sûreté et de protection individuelle. En cas d’incendie ou face à toute autre situation d’urgence, il fait évacuer la salle. Si quelqu’un fait un malaise cardiaque, a besoin d’une réanimation cardio-pulmonaire ou souffre simplement de la chaleur et s’évanouit, ce policier est en première ligne.

Il y a ensuite les deux agents de sécurité placés de part et d’autre de l’accusé. Ils ne s’occupent que de la personne détenue. Lorsque celle-ci se lève, ils se lèvent. Si la personne détenue se montre agitée ou agressive, ils prennent les choses en main.

En cas de suspension d’audience, ils mènent la personne détenue derrière la salle d’audience, en salle de repos. Cette salle est équipée d’une petite table, de toilettes et d’un lit pour lui permettre de se reposer. Les agents sont aptes à gérer n’importe quelle situation. Ils sont formés aux techniques de contrôle et contrainte, et ils disposent d’un « bouton d’alerte » sophistiqué pour demander du renfort si nécessaire.

Mais dans l’ensemble, il s’agit de s’assurer que la personne détenue est en sécurité – qu’elle est à l’aise, collabore et est en bonne santé – et reçoit tout ce à quoi elle a droit. La personne détenue a droit à un déjeuner et peut rencontrer ses avocats. Le moment venu, les agents la reconduisent en salle d’audience. Pour cela, ils suivent les instructions données par le juge président quant au lieu où doit se trouver la personne détenue et l’heure à laquelle elle doit y être. Chaque déplacement est communiqué par radio à l’agent de la salle de contrôle. Sans cette coordination, la Sécurité ne pourrait pas faire son travail. Excellente communication, liaisons directes, coopération permanente.

Ces agents de sécurité font partie de l’équipe spéciale affectée à l’accueil des personnes détenues remises par les autorités néerlandaises. Nous ne transportons pas nous mêmes les personnes détenues entre la Cour et le quartier pénitentiaire ; ce sont les autorités néerlandaises qui s’en chargent. Mais nous prenons la relève dès qu’elles pénètrent dans le bâtiment de la Cour. Elles sont alors sous notre garde.

Arrestations et transfèrements

Il y a une autre équipe spéciale qui, en amont, contribue à la remise du suspect à la Cour. Nous ne procédons jamais aux arrestations, ce sont les autorités nationales qui le font. Mais dès qu’un suspect est arrêté, nous nous rendons sur place, dans le pays où il a été arrêté, et il nous est remis.

Plusieurs agents de sécurité de la CPI font partie de l’équipe chargée de transporter le suspect à La Haye. Cette équipe est également composée d’un médecin, qui s’assure que le suspect est en état de voyager, et d’un juriste, qui veille au respect des droits du suspect et se charge des questions diplomatiques et de la coopération avec les autorités nationales. Le rôle de chacun est bien défini. Nous nous assurons que tout est bien organisé et sécurisé. Il s’agit d’une opération lourde, et elle se déroule à chaque fois différemment, en fonction de l’identité du suspect et du pays dans lequel il se trouve. Aucune situation n’est identique aux autres.

Prenons un exemple : vous arrivez au lieu de rendez-vous, un immense bâtiment vide dans un coin perdu, auquel est accolé un seul petit bâtiment. Petit à petit, des gens en uniforme que vous n’avez jamais vus commencent à vous encercler.

Si le suspect faisait partie d’une armée ou d’un groupe rebelle, il se peut que la police locale et les forces spéciales soient engagées dans l’opération. Elles disposent d’armes extrêmement sophistiquées et d’une puissance de feu comme on n’en voit qu’au cinéma. Certains de leurs membres ont relevé leurs manches et exhibent leurs muscles. D’autres jouent les durs, assis sur le capot de leurs jeeps. Et ce n’est pas une, mais 25 jeeps qui encerclent le bâtiment.

Puis le commandant arrive, il fait deux fois la taille des autres, il est plus imposant, plus musclé et tout dans son attitude montre que c’est lui qui commande. Vous regardez autour de vous, les soldats, les uniformes, les armes et les gros bras, et soudain, vous êtes soulagé qu’ils soient vos alliés, qu’ils veuillent vous remettre le suspect... la diplomatie prend alors un tout autre sens pour vous.

Enfin, vous apercevez le suspect, escorté depuis le bâtiment adjacent. En général, il est calme. Il se demande s’il est en sécurité. Il est tout aussi submergé que vous par la scène, sauf que pour lui, vous êtes la grande inconnue de l’équation. Nous lui parlons, lui expliquons ce qui va se passer, et le mettons progressivement à l’aise pour qu’il sache qu’il est en sécurité avec nous.

Nous vérifions que le suspect n’a pas d’arme cachée sur lui, mais à ce stade, il est plus probable que ce soit lui qui soit menacé et non l’inverse. Nous demandons aux autorités nationales si, à leur connaissance, sa vie est en danger. Dans l’affirmative, nous prenons des mesures de sécurité supplémentaires pour le protéger. Juste pour le mettre dans l’avion en toute sécurité, il faut penser soigneusement à la manière de se placer, de marcher par rapport à sa position et en fonction de la direction d’où le danger pourrait venir.

Une fois à bord de l’avion avec le suspect sous notre garde en toute sécurité, tout le monde peut commencer à se détendre, sauf la sécurité. Nous ne commencerons à respirer que lorsque le suspect se trouvera au quartier pénitentiaire à La Haye.

Protection rapprochée

Il y a ensuite l’équipe de protection rapprochée. Elle protège par exemple le Président de la CPI ou d’autres personnalités lors de leurs missions sur le terrain. Elle fait aussi beaucoup de planification. Elle se rend sur les lieux à l’avance, fait les trajets, contrôle les hôtels et les lieux des événements, se rendant dans les villages, les maisons et les communautés où iront les personnalités, pour s’assurer que les conditions de sécurité sont réunies et veiller à ce que tout soit prêt avant le début de la mission. Lorsque les personnalités arrivent, c’est à nous de jouer, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Pas de répit tant que les personnalités ne sont pas rentrées chez elles.

Selon le lieu de la mission, on peut s’attendre à une instabilité politique, des troubles et des fusils d’assaut. Et c’est notre travail de veiller à ce que les personnalités soient en sécurité. La situation n’est pas commune et un agent qui n’a été entraîné que dans un endroit stable et sûr… n’a aucune idée de ce qui l’attend. Dans certains lieux, il n’y a pas de routes, seulement des hélicoptères et à peine un endroit où se poser. Et on ne sait pas exactement qui se trouve sur le terrain, parce que cela change d’une heure à l’autre. Il pourrait y avoir des activités de tir au prochain poste de contrôle. On peut tomber sur des forces rebelles, des criminels, tout peut arriver.

En protection rapprochée, nous nous attendons toujours au pire, et nous essayons de l’anticiper. Nous sommes constamment à l’affût des dangers possibles. En marchant dans la rue, ce n’est pas le visage des gens que nous regardons en premier, mais leurs mains. Que portent-ils ? Quelle attitude ont ils ? Puis nous regardons leur visage : arborent-ils une expression normale ? Ont-ils l’air en colère ? Une voiture passe : à quelle vitesse ? Qui se trouve à l’intérieur ? Nous parlons avec les organisateurs de l’événement : quelles mesures de sécurité ont-ils prises ? Où se trouve la sortie de secours ? Quel est l’itinéraire d’évacuation ? Où est notre voiture ? Même la nuit, nous surveillons le couloir de l’hôtel au lieu de dormir. Nous sommes au courant de tout, nous observons tout. Nous communiquons le mieux possible avec la personne que nous protégeons pour qu’elle ne fasse pas trop de déplacements imprévus et ne prenne pas de décision inattendue, et nous faisons en sorte que tout le monde comprenne bien pourquoi la sécurité est là.

Avec l’expérience, on commence à savoir, à sentir ce qui est sûr et ce qu’on peut autoriser. On est parfois trop prudent, mais on prend la meilleure décision possible en fonction des informations dont on dispose. Si les conditions restent conformes aux prévisions, tout va bien. Si les circonstances montrent qu’il existe ne serait-ce qu’un tout petit risque qu’on ne maîtrise pas la situation, on embarque la personnalité dans notre véhicule et on la sort de là.

Dans le meilleur des cas, il ne se passe rien, la personne qu’on protège rentre chez elle et nous oublie. Si nous nous retrouvons ensemble dans une situation délicate, nous échangerons toujours un sourire dans les couloirs, même des années plus tard. Mais c’est tout. Il ne se crée pas de lien spécial ou d’amitié. On est là pour la protéger, c’est purement professionnel.

Une révélation

Étant néerlandais, j’ai grandi d’un environnement sûr et, les années passant, je suis devenu une sorte de touche-à-tout au sein la Section de la sécurité de la CPI. Quand j’étais agent de sécurité en salle d’audience, j’écoutais les dépositions des témoins et des accusés.

Puis, devenu agent chargé de la protection rapprochée du Président ou du Greffier lors de leurs missions, j’ai pu me rendre dans les pays dont ils parlaient en salle d’audience et voir les tombes ou les endroits où des gens avaient été tués. Et laissez moi vous dire : on n’est plus tout à fait le même après cela. Quand vous rentrez aux Pays-Bas, où tout est sûr et bien organisé, vous voyez les choses autrement. Vous appréciez la sécurité que tous les autres tiennent pour acquise. C’est une leçon d’humilité.

À propos de la justice

Étant exposé à la mission que la CPI nous confie de travailler pour la justice et de traduire en justice des personnes qui ont parfois commis des crimes indicibles… je pense vraiment que notre travail fait une différence. Il est gratifiant d’être ne serait-ce qu’un tout petit rouage de cette énorme machine qu’est la CPI.

Et si nous pouvons… si je peux contribuer un tant soit peu à ce que justice soit faite, alors je pense que je suis au bon endroit et que je mérite bien mon salaire.