L’avocat plaidant

J'ai grandi au Sri Lanka pendant le conflit ethnique. Celui-ci a duré les 30 premières années de ma vie. Ma mère est cingalaise et mon père, tamoul ; c'est un peu comme avoir un père protestant et une mère catholique à Belfast. C'était une situation peu habituelle mais cela nous a permis de voir tous les côtés du conflit.

Pendant les émeutes anti-Tamouls de 1983, notre domicile a été attaqué et ma famille a dû se cacher. Puis, je me souviens d'être resté longtemps sans aller à l'école pendant les soulèvements marxistes de 1987-1989. Lorsque j'avais 15 ans, j'ai entendu un bruit que j'ai cru provoqué par l'effondrement du portail de l'école, mais qui en fait était causé par une bombe lancée par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (ou Tigres tamouls) contre la banque centrale, qui a fait près de 100 morts. J'ai vu de mes propres yeux les conséquences du fanatisme, de l'injustice et de la violence.

J'étais en colère mais je me sentais impuissant, ne sachant pas vraiment comment trouver une solution à ces problèmes.

J'étais en colère mais je me sentais impuissant, ne sachant pas vraiment comment trouver une solution à ces problèmes.

Je m'appelle Pubudu et je suis substitut du Procureur au Bureau du Procureur de la CPI.

En substance, le substitut du Procureur plaide des affaires à l'audience. Mais cela demande beaucoup de préparation, et notamment : avec des enquêteurs, interroger des témoins ; étudier des déclarations de témoin ; examiner d'autres éléments de preuve en collaboration avec des analystes ; rédiger des requêtes et circonscrire les charges avec précision. Ensuite, durant le procès, nous interrogeons les témoins à l'audience, contre-interrogeons les témoins de la Défense et répondons aux objections et exceptions soulevées par celle-ci.

Méthodes d'analyse

Lorsque vous êtes affecté à une affaire au stade de l'examen préliminaire ou aux premiers stades d'une enquête, vous y allez l'esprit ouvert, sachant que vous avez tout à apprendre. Vous avez recueilli peu d'éléments de preuve et interrogé peu de témoins. Alors, vous étudiez les types de crimes commis, les types de victimes répertoriées et les groupes en cause. Y a-t-il eu une campagne de violences sexuelles ? Un groupe de victimes a-t-il été pris pour cible pour des motifs d'ordre ethnique ou sexiste, ou sur la base de toute autre considération liée à son identité ? Un groupe a-t-il procédé à la conscription et à l'utilisation d'enfants de moins de 15 ans ? Qui étaient les acteurs clés de ces groupes ?

Vous recherchez des pratiques criminelles récurrentes dans un pays… et cherchez à répondre à deux questions principales : 1. Quels crimes ont été commis dans l'affaire que vous examinez ? 2. Quelles personnes portent la plus lourde responsabilité de ces crimes ?

Puis, avec le temps, vous affinez les réponses à ces questions, continuez de rassembler des éléments de preuve et d'analyser, posant plus de questions et recueillant davantage d'éléments de preuve, jusqu'à ce que vous disposiez d'assez d'informations pour obtenir la délivrance d'un mandat d'arrêt contre une personne puis le transfèrement de cette personne à la Cour pour pouvoir engager une procédure à son encontre.

Il importe de bien garder à l'esprit à ce stade que l'accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie, et qu'il incombe à l'Accusation de prouver cette culpabilité.

La détermination des charges

Nous devons ensuite décider quelles charges porter contre cette personne.

You have to make the charges sufficiently clear and precise so that the accused has a reasonable ability to understand and challenge the case against him or her. You have to make sure that your case is broad enough to reflect the suffering of the victims. But you have to focus the charges and your case enough so it doesn't take five or ten years to run the trial.

Une fois que vous avez déterminé les charges, une audience est tenue pour leur confirmation. Au cours de cette audience, une chambre de la CPI décide s'il existe ou non des éléments de preuve suffisants pour confirmer les charges et renvoyer l'affaire en jugement.

Si une affaire est renvoyée en jugement, une partie de mon rôle en tant que substitut du Procureur est d'interroger les témoins cités à comparaître par l'Accusation, et, plus tard, ceux appelés à la barre par les représentants légaux des victimes et par la Défense. Pour établir la vérité, nous rassemblons et communiquons les éléments de preuve à charge comme à décharge.

À la fin du procès, en collaboration avec mon équipe, j'étudie toutes les preuves obtenues au cours du procès. Nous nous en servons pour procéder à une description claire des faits. Nous utilisons les différents éléments de preuve comme les pièces d'un puzzle pour comprendre ce qui s'est réellement passé. Nous présentons ensuite à la Chambre de première instance notre récit, qui résume les éléments de preuve, dans un long document, le mémoire en clôture. Le conseil de la Défense et les représentants des victimes en font autant.

La Chambre de première instance étudie ensuite les éléments de preuve. Si elle est convaincue de la culpabilité de l'accusé au-delà de tout doute raisonnable, elle le déclare coupable. Dans le cas contraire, elle l'acquitte.

Des environnements différents

En tant que substitut du Procureur, on est amené à travailler dans des environnements très différents.

Nos bureaux sont comme les autres : des petites cabines sans caractère. Le mien est couvert de tableaux blancs parce que j'aime représenter les idées sous forme de schéma.

La salle audience, en revanche, est un environnement où il faut être en alerte. Lorsque vous êtes debout, présentant des arguments ou interrogeant des témoins, vos sens sont décuplés, votre niveau d'adrénaline monte.

Pour une personne qui n'y a jamais mis les pieds auparavant (et c'est le cas pour la plupart des témoins !), une salle d'audience est un environnement étrange : les gens parlent de manière formelle, presque artificielle, utilisant souvent un pupitre. Ils portent une toge noire ou bleue. Il y a des ordinateurs partout. Du haut de leurs cabines, des interprètes vous regardent.

Il m'arrive de voyager pour rencontrer et interroger des témoins. En général, c'est plutôt le travail des enquêteurs mais parfois, pour certains témoins, les substituts du Procureur participent également aux entretiens. Nous évoluons alors dans un autre environnement, complètement différent.

Habituellement, nous rencontrons et interrogeons les témoins à des endroits qui sont très différents du siège de la Cour. À La Haye, il est facile d'aller d'un endroit à l'autre. Il est facile de trouver un endroit où s'entretenir avec les gens en toute sécurité. Il n'y a pas de préoccupation majeure en matière de sécurité. C'est une petite bulle où les choses se passent généralement comme prévu. Ce n'est pas le cas dans beaucoup d'endroits où nous interrogeons des témoins et recueillons d'autres éléments de preuve. Il peut s'agir d'un lieu proche d'une zone de conflit ou qui se relève encore d'un conflit récent. Parvenir jusqu'aux témoins ne se fait pas toujours sans difficultés. Vous devez faire bien attention à ne les mettre en danger d'aucune manière. Vous devez également veiller à la sécurité des membres de votre propre équipe. Vous devez travailler efficacement avec les autorités locales et les intermédiaires tout en restant indépendant.

Lorsque vous parlez aux témoins, le premier contact est crucial. C'est un aspect fondamental de la mise en place d'une relation de confiance mutuelle.

De nombreux témoins ont vécu des expériences traumatisantes. Ils mènent peut-être une vie difficile, et le fait de vous rencontrer pourrait encore la bouleverser considérablement. Ils peuvent craindre pour leur sécurité, et parler de ce qu'ils ont vécu peut également être traumatisant. Il est donc d'une importance primordiale d'approcher le témoin avec empathie et respect et en faisant preuve d'ouverture d'esprit.

Autres difficultés

Les difficultés singulières rencontrées par la CPI ne se limitent pas au terrain ; on en retrouve en salle d'audience : la langue en est une. Il arrive qu'un accusé parle une langue dont il n'existe pas de forme écrite normalisée. Dans les procédures devant la CPI, c'est dans sa langue que vous devez communiquer à l'accusé les éléments de preuve sur lesquels vous allez vous appuyer. Mais comment lui communiquer une déclaration si sa langue n'a pas de forme écrite ? De même, comment interroger un témoin s'il n'y a pas d'interprètes qui parlent à la fois sa langue et une langue de travail de la Cour ?

Puis, il y a les types de crimes que nous traitons. Comme établir l'existence d'une campagne de commission de crimes qui s'est déroulée pendant des semaines et des mois dans une zone couvrant un grand nombre de villes et de villages ? Comment déterminer les liens qui pourraient exister entre un crime commis par un simple soldat et un commandant beaucoup plus haut gradé ? Comment établir si une fosse commune donnée est liée à une attaque sur laquelle vous enquêtez ? Comment enquêter sur les activités d'un groupe ou d'un gouvernement si celui-ci est encore actif ou au pouvoir et essaie d'intimider les témoins ? Comment enquêter sur un crime si vous ne pouvez pas vous rendre sur le lieu où il a été commis ? Voilà toutes les difficultés que nous devons surmonter.

Ce qui me motive ?

Ce sont les personnes que je rencontre dans mon travail qui me motivent. Le fait de parler aux témoins et de les entendre raconter ce qu'ils ont subi me pousse à redoubler d'efforts et donne du sens et un but à mon travail. Les expériences qu'ils partagent me font travailler plus consciencieusement. Leur histoire ne me quitte pas pendant des années, parfois plus d'une décennie après notre dernière rencontre.

Je me souviens d'un témoin que j'ai rencontré, qui n'était pas beaucoup plus âgé que moi, un homme extrêmement brillant et aimable. Lorsque nous nous sommes vus, le courant est bien passé entre nous. Je ne pouvais m'empêcher de comparer ma vie avec la sienne. J'avais eu beaucoup plus d'opportunités que lui ; j'avais été à l'école, puis à l'université. Il n'en avait eu aucune et avait dû quitter l'école très jeune. Une bonne partie de sa vie avait été ruinée à cause de la guerre dans son pays. À l'époque, je me suis dit : « Quel gâchis, quel terrible gâchis ! Voici un homme qui, dans un tout autre contexte, aurait excellé dans tout ce qu'il aurait voulu entreprendre. Et peut-être que nous aurions été amis dans un monde différent. » Et j'étais perturbé de voir qu'il recommençait sa vie après avoir perdu autant de temps. Il y avait une lueur d'espoir, bien sûr, parce que, au moins, il pouvait recommencer à ce moment-là. Mais quand on y pense : et si ces 25 dernières années n'avaient pas été perdues, ruinées par la guerre ? Cette question m'a donné de la motivation pour l'aider à parler.

J'ai eu beaucoup de rencontres comme celle-ci : un témoin gravement blessé qui hésitait à prendre ne serait-ce qu'une pause pendant un entretien, tant il était désireux de raconter son histoire ; une jeune femme qui peinait à raconter le traumatisme causé par les violences sexuelles. J'espère que le fait d'avoir témoigné les aidera à trouver un certain apaisement. C'est l'histoire de chacun d'eux qui importe, et non la mienne.