Déclaration: 25 juin 2024

Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan KC, concernant la délivrance de mandats d’arrêt dans le cadre de la situation en Ukraine

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Karim A. A. Khan KC, ICC Prosecutor

Le 2 février 2024, j’ai demandé à la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale de délivrer des mandats d’arrêt dans le cadre de la situation en Ukraine.

Aujourd’hui, à la suite de la délivrance de deux mandats d’arrêt à l’encontre des deux personnes citées dans les demandes déposées par l’Accusation, deux mandats supplémentaires ont été délivrés par la Chambre préliminaire à l’encontre de :

  • Sergueï Koujouguetovitch Choïgou, Ministre de la défense de la Fédération de Russie au moment des faits allégués ;
  • Valery Vasilyevich Gerasimov, chef d’état-major général des forces armées de la Fédération de Russie et premier vice-ministre de la défense de la Fédération de Russie.

Sur la base des éléments de preuve recueillis et analysés par mon Bureau dans le cadre de ses enquêtes indépendantes, la Chambre préliminaire a confirmé qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Choïgou et le général Gerasimov portent une responsabilité pénale individuelle pour les trois crimes suivants : 1) le crime de guerre consistant à diriger des attaques contre des biens de caractère civil (article 8-2-b-ii du Statut de Rome) ; 2) le crime de guerre consistant à causer incidemment des dommages excessifs à des personnes civiles ou des dommages à des biens de caractère civil (article 8‑2-b-iv du Statut de Rome) ; et 3) le crime contre l’humanité consistant à commettre les actes inhumains réprimés par l’article 7-1-k du Statut de Rome.

Dans sa demande, le Bureau du Procureur (le « Bureau ») a fait valoir que ces personnes sont responsables d’attaques perpétrées contre des infrastructures essentielles en Ukraine, y compris des centrales électriques et des postes électriques, entre le 10 octobre 2022 et le 9 mars 2023 au moins. Des preuves ont été produites par mon Bureau démontrant que ces frappes étaient dirigées contre des biens civils et que, pour les installations qui auraient pu être qualifiées d’objectifs militaires au moment des faits, les dommages et préjudices indirects causés aux civils étaient clairement excessifs par rapport à l’avantage militaire escompté.

Après avoir examiné ces éléments de preuve, la Chambre préliminaire a considéré qu’il existait des motifs raisonnables de croire que de nombreuses frappes contre des centrales électriques et des postes électriques ont été menées par les forces armées russes en plusieurs endroits en Ukraine. La Chambre préliminaire a considéré que les actes dont il est allégué qu’ils ont été commis par les forces armées russes au cours de cette période sont constitutifs d’un comportement qui consiste en la commission multiple d’actes contre une population civile en application d’une politique d’État, au sens de l’article 7 du Statut, qui sont susceptibles de caractériser un crime contre l’humanité au sens de l’article 7-1-k du Statut.

La Chambre préliminaire a également estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que ces hauts responsables de la Fédération de Russie sont pénalement responsables i) d’avoir commis ces crimes conjointement et/ou par l’intermédiaire d’une autre personne (article 25-3-a du Statut de Rome), ii) d’avoir ordonné qu’ils soient commis (article 25-3-b du Statut de Rome), et/ou iii) de ne pas avoir exercé un contrôle suffisant sur leurs subordonnés qui les ont commis (article 28 du Statut de Rome).

Dans sa demande de mandats d’arrêt, mon Bureau a de nouveau souligné que ces faits ont été commis dans le cadre des actes d’agression perpétrés par les forces militaires russes contre la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, qui ont débuté en 2014.

La décision rendue ce jour traduit l’engagement sans faille de mon Bureau à donner véritablement effet à la protection conférée par le droit aux civils et aux biens protégés. Comme le rappelle la décision de la Chambre, l’un des objectifs fondamentaux du droit international humanitaire est la protection des civils dans les conflits armés. 

Toutes les personnes qui sont engagées dans ces conflits sont tenues de respecter les règles essentielles du droit international humanitaire, qui offre une protection à tous et accorde une valeur égale à toutes les vies humaines. C’est le postulat et le principe fondamental qui guident l’action de la Cour pénale internationale. Comme je l’ai souligné à maintes reprises, aucun individu, où que ce soit dans le monde, ne doit avoir le sentiment de pouvoir agir en toute impunité. Et aucune personne, où que ce soit dans le monde, ne devrait avoir le sentiment de ne pas mériter la même protection que les autres.

Ce résultat n’aurait pas été possible sans le soutien apporté par de nombreux partenaires du Bureau qui nous a permis d’avancer dans nos enquêtes sur la situation en Ukraine. Je suis particulièrement reconnaissant au Bureau du procureur général de l’Ukraine pour sa collaboration, notamment en facilitant notre travail sur le terrain.

Je continuerai également de solliciter la coopération de la Fédération de Russie en ce qui concerne la situation en Ukraine et à veiller à ce que mon Bureau assume pleinement la responsabilité qui lui incombe en vertu de l’article 54 du Statut de Rome d’enquêter tant à charge qu’à décharge sur les crimes allégués.

Mon Bureau reste déterminé à faire progresser plusieurs axes d’enquête interdépendants en Ukraine et continue d’œuvrer à l’accomplissement de son mandat, qui est de garantir la justice et de mettre fin à l’impunité dans toutes les situations.

Source: Bureau du Procureur | Contact: [email protected]