Communiqué de presse: 13 juin 2012

Réquisitoire à l’audience de détermination de la peine dans l’affaire Thomas Lubanga

ICC-OTP-20120613-PR809

Communiqué de presse : 13.06.2012


Réquisitoire à l’audience de détermination de la peine dans l’affaire Thomas Lubanga

ICC-OTP-20120613-PR809

13 juin 2012

La version prononcée fait foi

L’Accusation requiert une peine très sévère. Thomas Lubanga a été reconnu coupable d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de quinze ans pour les faire participer à des hostilités.

En 1998, plus de cent états de par le monde ont décidé qu’il s’agissait là de l’un des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale.

Le jugement admet que « les enfants sont particulièrement vulnérables [et] ont besoin d’un traitement spécial par rapport au reste de la population civile ».

La peine qu’infligera la Cour pénale internationale reflètera cette protection spéciale et la gravité du crime commis.

En conséquence, l’Accusation demande qu’une peine soit infligée au nom de chaque enfant recruté, au nom de la communauté de l’Ituri, notamment des membres de la communauté hema qui a été directement touchée par les crimes en cause parce qu’elle vivait dans la crainte que ses enfants lui soient enlevés, mais également au nom des membres de la communauté lendu et d’ autres communautés ayant subi les attaques des milices de M. Lubanga, et au nom des citoyens du monde entier préoccupés par ces crimes ainsi que des 121 États parties qui se sont engagés à mettre un terme à l’impunité de leurs auteurs et à contribuer à leur prévention.

En conséquence, l’Accusation demande à la Chambre d’imposer à M. Thomas Lubanga une peine de trente ans de prison.

L’Accusation va exposer ses motifs.

La gravité des crimes détermine la gravité de la peine. Lors de poursuites devant une juridiction nationale, chaque acte distinct commis à l’encontre d’un enfant exige une peine sévère et la Cour pénale internationale se doit de ne pas l’être moins. La gravité des crimes commis par M. Lubanga pendant presque un an à l’encontre d’une multitude de victimes requiert une peine très sévère.

En outre, l’Accusation a relevé quatre circonstances aggravantes :

  1. M. Lubanga est responsable au premier chef des actions de l’UPC. Il était son commandant en chef et a approuvé et supervisé le plan commun. Aucun membre de sa milice n’osait désobéir à ses ordres. Il en résulte que Thomas Lubanga a été impliqué dans chaque recrutement d’enfant et dans chaque utilisation d’enfant lors des hostilités.
  1. Le recrutement effectué par Thomas Lubanga comportait des traitements particulièrement cruels. Les enfants étaient enlevés, leurs familles forcées d’accepter cette situation et au lieu d’obéir à leurs mères, les enfants étaient obligés d’obéir aux commandants. Ils ont été formés par le régime de la terreur, à tuer et à violer. Ils ont été lâchés dans des zones de combat avec l’ordre de tuer tout le monde, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants, car tous étaient considérés comme des ennemis.

Les dommages causés par ces traitements cruels perdurent après la démobilisation des enfants. Ceux qui ne sont pas morts au combat souffrent de séquelles physiques permanentes ou de traumatismes psychologiques persistants ; tous souffrent encore.

Outre ces deux circonstances aggravantes, l’Accusation souhaite mettre en lumière deux aspects qu’il y a tout lieu de dévoiler. L’un des aspects fondamentaux du crime de recrutement d’enfants soldats était la discrimination fondée sur le sexe, et enfin, ce même crime a privé ces enfants et leur génération de leur droit à l’éducation.

Permettez-moi de développer brièvement ces deux aspects :

  1. La réduction en esclavage sexuel des filles soldats était inhérente à leur recrutement. Dans les camps d’entraînement, ces filles étaient quotidiennement victimes de viol par les commandants et les soldats.

L’Accusation avait choisi de ne pas poursuivre l’accusé sous ce chef d’inculpation spécifique parce que les violences à caractère sexiste occupent une place essentielle dans le crime de recrutement des filles soldats.

Toutes les filles recrutées étaient violées et maltraitées parce qu’elles étaient des filles.

Comme l’a souligné Mme Radhika Coomaraswamy dans son mémoire d’amicus curiae, le cas des filles soldats est trop souvent ignoré. On se sert du mot « épouse » pour rendre ces crimes invisibles.

Une peine exemplaire serait la garantie que les souffrances subies par ces filles et d’autres pour des raisons sexistes ne seraient plus ignorées.

  1. Enfin, la protection spéciale dont bénéficient les enfants ne comprend pas uniquement une protection contre la violence et les blessures mais aussi celle de leur droit à l’éducation. Les victimes et leurs proches ont maintes fois fait savoir que le manque d’éducation faisait partie de leur réalité immédiate et constituait l’une de leurs préoccupations majeures.

L’interruption, le retard et/ou la privation de l’éducation des enfants soldats ont eu des conséquences irréversibles sur leur vie. Certaines familles n’ont pas scolarisé leurs enfants de peur que ceux-ci ne soient recrutés car on attaquait également les écoles. Les crimes de M. Thomas Lubanga ont eu une incidence sur le système éducatif dans son ensemble.

L’Accusation n’a pu trouver aucune circonstance atténuante qui puisse justifier une réduction de peine. Thomas Lubanga a délibérément choisi d’utiliser des enfants dans ses milices. Il savait pertinemment qu’il enfreignait les règles les plus élémentaires que le monde a mises en place pour protéger les enfants. Il a tenté de tromper et d’apaiser la communauté internationale. Il a prétendu avoir démobilisé les enfants soldats de son armée puis s’est rendu à Rwampara pour y encourager le recrutement d’enfants.

Lors de ma déclaration liminaire, j’ai averti la Défense que l’Accusation prévoyait de réclamer une peine très sévère, presque la peine maximum. Aujourd’hui, et pour les raisons susmentionnées, elle requiert une peine de prison de trente ans.

Toutefois, avant de conclure, l’Accusation voudrait donner à M. Lubanga une dernière chance d’atténuer sa culpabilité. Aujourd’hui ou demain, dans ce prétoire, il pourrait présenter des excuses sincères.

L’un des témoins entendus aujourd’hui a déclaré que M. Lubanga était un homme de paix. Ce dernier doit démontrer que s’il l’est vraiment, il est en mesure de présenter des excuses réelles aux enfants qu’il a recrutés, aux familles hema, aux autres communautés de l’Ituri et en particulier à la communauté lendu.

Il doit faire preuve d’authentique remords et doit aider à prévenir de nouveaux crimes en Ituri.

Il doit tirer profit sa position de dirigeant et du respect qui lui est encore témoigné pour promouvoir la paix, encourager des mesures destinées à unifier et à guérir les communautés affectées, et promouvoir la réconciliation et la réinsertion des enfants soldats dans leurs communautés respectives et en particulier celle des filles victimes de viols.

Enfin, Thomas Lubanga doit encourager la mise en place de projets éducatifs. Il faut reconstruire les écoles de l’Ituri et les enseignants doivent être en mesure de présenter l’affaire Lubanga, jugée devant la Cour pénale internationale, comme la pierre angulaire d’un nouvel élan global pour établir une paix durable dans la région.

C’est la dernière chance qu’a M. Lubanga de tenter de réparer le mal qu’il a causé à toutes les communautés touchées. S’il le fait, s’il s’engage vraiment à contribuer à la prévention d’autres crimes, l’Accusation est disposée à ne demander qu’une peine de vingt ans.

Source: Bureau du Procureur

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