Déclaration: 22 octobre 2012

Nairobi: Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale Mme Fatou Bensouda

                                                                  Conférence de presse, Nairobi
                                                                    La version prononcée fait foi

Mesdames et messieurs les journalistes,

Je tiens à vous remercier d’être venus en ce début d’après-midi à cette conférence de presse. Tout d’abord, à l’occasion de ma première visite officielle au Kenya en tant que Procureur de la CPI, je tenais à vous rencontrer afin de me présenter. Je souhaite également vous dire brièvement pourquoi je suis ici et ce que j’ai l’intention de faire. Je serai alors ravie de répondre à quelques questions.

Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai été nommée et soutenue par l’Union africaine en tant qu’unique candidate africaine au poste de Procureur de la CPI, auquel j’ai été élue à l’unanimité par les 121 États parties le 12 décembre 2011. Je suis extrêmement redevable à l’Union africaine et aux dirigeants africains, dont le Président Kibaki, pour la confiance qu’ils ont placée en moi. Leur soutien prouve une fois de plus l’engagement de l’Afrique en faveur de la justice internationale et leur souhait de mettre fin à l’impunité. Pour les neuf prochaines années, j’ai l’honneur, le privilège et la responsabilité d’exercer les fonctions de Procureur de la Cour pénale internationale. Ayant été nommée et soutenue par l’Union africaine pour occuper ce poste, je me considère simplement comme un produit de la société africaine conçu pour mettre fin à l’impunité. Dans le cadre du mandat qui m’a été confié par les 121 États parties, je suis guidée par le droit et les principes fondamentaux d’indépendance, d’impartialité et d’équité.

J’ai pour mission de mener des enquêtes et des poursuites à l’encontre des principaux responsables des crimes les plus graves commis dans le monde entier, lorsque personne d’autre ne rend justice aux victimes. Notre objectif, mon objectif, est d’établir la vérité. Ce faisant, en rendant justice, nous pouvons apporter du réconfort aux survivants, redonner de la dignité à ceux dont la vie a été brisée et faire en sorte que les victimes des massacres ne soient pas oubliées. Nous le faisons dans le plus grand respect de la responsabilité première des juridictions nationales d’engager de véritables poursuites contre les auteurs présumés de ces crimes, mais aussi dans le respect des droits des accusés et surtout des victimes, toutes les victimes ainsi qu’il est prévu au Statut de Rome.

Les victimes kényanes, les femmes, les hommes et les enfants qui ont souffert au cours de cette funeste période de 2007 et 2008, sont ma priorité, ce pourquoi je me bats tous les jours. Elles l’ont toujours été et le demeureront à jamais.

Je suis arrivée sur le sol kényan hier et je prévois de rester toute la semaine dans le pays. Durant mon séjour, j’ai l’intention de rencontrer les principaux responsables du Gouvernement, notamment le Président Kibaki et le Premier Ministre Odinga.

Vous vous souvenez peut-être que le 3 juillet 2009, mon prédécesseur s’était entretenu à La Haye avec une délégation de hauts responsables du Gouvernement kényan. Ils étaient parvenus à un accord selon lequel le Bureau du Procureur n’aurait aucune raison d’intervenir si les autorités du pays engageaient de véritables procédures judiciaires à l’encontre des personnes portant la responsabilité la plus lourde dans les violences postélectorales. Mon prédécesseur et les membres de cette délégation avaient notamment convenu que l’impunité n’était en aucun cas envisageable.

Le 5 novembre 2009, mon prédécesseur a rencontré le Président Mwai Kibaki et le Premier Ministre Raila Odinga à Nairobi après avoir été informé par les autorités kényanes de l’impasse regrettable dans laquelle se trouvait la situation au niveau national. Il les a avertis qu’étant donné que les critères du Statut de Rome étaient remplis et que le Gouvernement kényan n’avait pas été en mesure d’établir un tribunal national pour juger les auteurs des crimes perpétrés au cours des violences postélectorales, il se trouvait dans l’obligation d’ouvrir une enquête sur ces crimes présumés.

Il a, par conséquent, sollicité la coopération des autorités du pays et a rappelé le rôle de complémentarité de la CPI et de ces dernières dans la lutte contre l’impunité. Le Président et le Premier Ministre ont fait une déclaration conjointe dans laquelle ils relataient la réunion constructive tenue avec le Procureur et précisaient que le Gouvernement ne rompait en aucune façon son engagement à coopérer pleinement avec la CPI dans le cadre établi par le Statut de Rome et la loi kényane sur les crimes internationaux.

Il s’agit toujours du cadre dans lequel s’opère aujourd’hui la coopération entre la Cour et le Kenya. Durant mon séjour dans le pays, j’entends rencontrer la population kényane, des membres de la société civile et de la communauté diplomatique, et les remercier pour le soutien crucial qu’ils ont apporté et continuent d’apporter aux activités du Bureau.

Je suis venue ici pour écouter. J’ai l’intention de me rendre dans la vallée du Rift pour y rencontrer des gens du peuple et m’entretenir notamment avec des groupes de victimes au sujet de la procédure engagée devant la CPI, dans le cadre d’un certain nombre d’événements publics et médiatiques.

Les juges de la CPI ont décidé que les quatre suspects en cause devaient rendre des comptes devant la justice pour des crimes qu’ils auraient commis durant les violences postélectorales et que l’on pouvait sérieusement penser qu’ils avaient commis les crimes qui leur étaient reprochés et qu’il y avait lieu d’engager des procès. Tous les quatre sont présumés innocents jusqu’à preuve du contraire et la charge de la preuve incombe à mon Bureau qui devra s’employer à établir leur culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Je tiens à insister sur un point : la CPI ne cherche à juger ni les Kényans ni le Gouvernement kényan ni aucune communauté ethnique. Les allégations portent sur la responsabilité pénale individuelle. Les quatre accusés bénéficieront d’un procès équitable et auront tous la possibilité de réfuter les allégations qui pèsent contre eux. Les juges se prononceront sur leur culpabilité ou leur innocence à l’issue de ces procès.

Compte tenu de leur charge de travail et des impératifs du calendrier, les juges ont fixé l’ouverture des procès au mois d’avril de l’année prochaine. Mon Bureau est à pied d’œuvre pour se préparer en vue de l’ouverture des procès et le processus de communication des éléments de preuve est déjà entamé.

Comme pour tout processus judiciaire, nous sommes confrontés à des difficultés. Nous nous efforçons chaque jour de contrecarrer des tentatives visant à faire pression sur nos témoins et à compromettre nos éléments de preuve. Nous ne ménageons pas nos efforts pour remédier aux retards pris par le Gouvernement kényan dans l’exécution de nos demandes.

L’avenir politique du Kenya est entre les mains du peuple kényan qui décidera du résultat des prochaines élections et qui redessinera en fin de compte la destinée de ce grand pays. Le processus judiciaire engagé à la CPI suivra également son cours, quels que soient les choix politiques effectués par les Kényans.

Je vous remercie.

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Source: Bureau du Procureur | Contact: [email protected]