Communiqué de presse: 2 mai 2003

ICC - Bureau du Procureur - Election du Procureur, Déclaration de M. Moreno Ocampo

ICC-OTP-20030502-10

Communiqué de presse


Bureau du Procureur - Election du Procureur, Déclaration de M. Moreno Ocampo

ICC-OTP-20030502-10

ASSEMBLEE DES ETATS PARTIES AU STATUT DE ROME DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE

New York, le 22 avril 2003

DECLARATION DE M. LUIS MORENO OCAMPO

Monsieur le Président,
Je tiens à vous remercier de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser à l’Assemblée des Etats, qui m’a fait l’honneur de me nommer premier procureur de la Cour pénale internationale.
Une telle nomination est à la fois un grand privilège et une grande responsabilité. La présente cour est chargée d’appliquer les règles et les accords qui ont été formalisés après un processus de négociations complexe entre les représentants d’états situés partout dans le monde, processus qui a duré dix ans et qui a été suivi avec grand intérêt par les organisations non gouvernementales faisant partie de la coalition. En tant que citoyen, je tiens à rendre hommage et à exprimer ma reconnaissance à tous les représentants des états et à tous les membres de la coalition, pour avoir créé l’institution dont le monde à rêvé durant plus d’un siècle.

Monsieur le Président
La création de la Cour pénale internationale découle du fait que l’on ait reconnu que certains crimes – en raison de leur nature – touchaient la communauté internationale dans son ensemble et que les frontières nationales ne pouvaient pas restreindre les enquêtes et les sanctions se rapportant à de tels crimes. Le temps et les efforts qui ont été consacrés à la recherche d’une solution appropriée à ce problème ont rendu possible la création d’une Cour pénale internationale à partir du principe de complémentarité, qui représente la volonté de créer une institution mondiale qui soit en même temps respectueuse de la souveraineté des états membres.

La responsabilité première, qui consiste à prévenir, enrayer, et poursuivre en justice de tels crimes atroces appartient aux états ayant compétence là où lesdits crimes sont commis. Le principe de complémentarité stipulé par le Statut oblige le bureau du procureur à collaborer avec les instances juridictionnelles nationales afin de les aider à améliorer leur efficacité.

La première tâche du bureau du procureur consiste à mettre tout en œuvre pour aider les instances juridictionnelles nationales à remplir leur mission.
Pour ce faire, le bureau du procureur peut agir de différentes manières. Dans un esprit de coopération, il peut communiquer à l’état concerné les informations émanant de différentes sources publiques, tout comme il peut former le personnel de l’état et lui apporter une assistance technique.
En outre, en raison de l’effet dissuasif que représente l’existence même de la cour, la possibilité de soumettre une affaire à la Cour pénale internationale pourrait convaincre certains états traversant de graves conflits de prendre les mesures appropriées.

Permettez-moi de vous donner, comme exemple de cette interaction, ce qui est arrivé à mon pays.
Dans les années 70, l’Argentine a traversé une période de violence politique qui n’a pas eu de précédent dans son histoire. Les groupes de guerilleros ont tué plus de 800 personnes et les “escadrons de la mort” en ont tué des centaines d’autres. A partir du coup d’état de 1976, un projet criminel a été mis en œuvre par l’état. Des personnes appartenant à l’armée et à des agences de sécurité ont attaqué la société qu’elles était censées protéger. Elles ont utilisé l’enlèvement et la torture en tant que techniques d’enquêtes clandestines auprès de personnes qu’elles considéraient comme étant suspectes.

Sans aucun procès et dans le plus grand secret, elles ont assassiné plus de 15.000 personnes, cachant les corps de leurs victimes.
Les citoyens ne pouvaient pas demander la protection de l’état, puisque l’état lui-même les attaquait.
C’est pourquoi ils se sont ralliés à des groupes de défense des droits de l’Homme et ont cherché de l’aide à l’échelon international.

La pression internationale a joué un rôle crucial, puisqu’elle a mis fin aux tueries. Cette pression a été exercée par différents pays, par les institutions des Nations Unies, et tout particulièrement par la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des Etats Américains, à la suite des inspections qu’elle a menées à l’échelon local en 1979.

L’action internationale a également servi à s’assurer que les criminels étaient jugés et condamnés. Les informations collectées par les commissions des NU, les rapports présentés par l’ OEA et par la Commission Nationale pour les Personnes Disparues en 1984 ont permis au procureur de rassembler des preuves documentaires et des témoignages pour procéder au jugement et à la condamnation des auteurs de ces crimes, c’est-à-dire des personnes appartenant à la junte militaire.
Le principe de complémentarité nécessite que des efforts soient entrepris au niveau national pour rendre possibles les actions nationales. La Cour pénale internationale doit procéder à une évaluation sérieuse de ces efforts entrepris à l’échelon national, en tenant compte de la nécessité de respecter la diversité des systèmes, traditions, et cultures juridiques, comme il a été indiqué lors du processus de négociation. Des expériences telles que le Rwanda et l’intervention d’institutions traditionnelles telles que les gacaca, doivent être analysées tout en tenant compte de la participation de la société dans son ensemble. Des efforts institutionnels communs tels que ceux qui ont été faits par la cour spéciale du Sierra Leone doivent également être pris en compte.

Cependant, il y aura des cas où des états ne seront pas en mesure de, ou ne voudront pas, remplir leur mission de base consistant à enquêter et à juger. Dans de tels cas, la Cour pénale internationale doit combler le vide créé par le manquement de ces états.

Par l’adoption du Statut de Rome, la communauté internationale a affirmé son engagement à intervenir dès lors que les actions nationales se révèleront insuffisantes.

En tant que procureur de la Cour pénale internationale, je serai chargé de faire intervenir cette juridiction internationale. J’utiliserai cette faculté avec responsabilité et fermeté, en m’assurant du strict respect du Statut, essentiellement dans les domaines concernées par la preuve des crimes et par l’inaptitude des états à enrayer lesdits crimes.

J’espère sincèrement que les horreurs dont l’humanité a souffert au cours du 20ème siècle nous serviront de leçon douloureuse et que la création de la Cour pénale internationale nous aidera à nous prémunir contre la réitération de telles atrocités à l’avenir.

L’efficacité de la Cour pénale internationale ne devrait être mesurée ni par le nombre d’affaires qu’elle aura à connaître ni par la teneur des jugements qu’elle rendra. Au contraire, en raison du caractère exceptionnel de cette institution, ce qui constituerait la plus grande réussite de la présente serait l’inexistence de procès instruits par celle-ci du fait du bon fonctionnement des institutions nationales.

Monsieur le Président,
Je suis conscient qu’il a été nécessaire de procéder à des négociations importantes et ardues avant que les délégations ne puissent trouver un accord largement partagé tant en ce qui concerne la faculté du procureur de faire intervenir la juridiction constituée par la cour qu’en ce qui concerne l’étendue de ses pouvoirs d’enquête et de poursuite.

Je suis également conscient de l’appréhension et des préoccupations que peut susciter ce système, encore aujourd’hui, notamment en ce qui concerne mes pouvoirs consistant à lancer une enquête de par ma propre initiative.

Je comprends ces peurs, ainsi que les sensibilités politiques qui les sous-tendent. Toutefois, il est temps de les reconsidérer et de revoir les autres thèmes de préoccupation. Il est temps d’analyser la manière dont cette nouvelle institution peut renforcer la paix à l’échelon mondial.
Une lecture attentive du Statut de Rome et de ses instruments complémentaires révèle que les concepteurs de la Cour pénale internationale ont été bien éclairés lorsqu’ils ont prévu d’assortir les pouvoirs du procureur d’un système adéquat de contrôles et de contrepoids permettant d’éviter les abus de pouvoir et les décisions arbitraires.

L’Assemblée contrôlera le comportement du procureur. Le procureur supervisera son équipe et la Chambre préliminaire contrôlera les affaires. Les juges ont été choisis parmi les meilleurs candidats en provenance de 43 pays.

Le monde peut se fier à eux.

Je souhaite que l’Assemblée sache que j’exercerai effectivement mes fonctions avec prudence et dans les strictes limites prévues par le Statut et les autres instruments.

Monsieur le Président
Votre assistance à tous sera essentielle à la réalisation de mes tâches. La coopération des Etats sera cruciale pour les enquêtes se rapportant aux crimes et pour la poursuite en justice des auteurs de crimes.

Vous avez créé la Cour pénale internationale. La cour, pour son fonctionnement efficace, dépendra de vous. C’est pourquoi le dialogue doit être constant entre nous et la coopération permanente.

Monsieur le Président
La Cour pénale internationale a une vocation mondiale mais elle n’est pas encore universelle. L’Assemblée des Etats parties, la société civile et la Cour pénale internationale elle-même doivent redoubler d’efforts afin d’obtenir une meilleur acceptation de la cour et de favoriser la participation de ces états qui y demeurent rétifs à l’heure actuelle.

En tant que procureur, je peux contribuer à instaurer la confiance vis-à-vis de la Cour pénale internationale, en exerçant mes pouvoirs d’investigation de manière impartiale et crédible tout en respectant pleinement les actions nationales.

MONSIEUR LE PRESIDENT
Il est important que le bureau du procureur puisse fonctionner avec le plus haut degré de professionnalisme et d’efficacité possible. Il est également important de s’assurer que le bureau reflète, de par sa composition, la vocation universelle de la cour pénale internationale. C’est pourquoi, dans les jours et les mois qui viennent, je tiens à déployer tous mes efforts pour aboutir à la constitution d’équipes qui soient, à la fois, intellectuellement solides et suffisamment équilibrées en ce qui concerne l’appartenance à tel ou tel sexe, à telle ou telle région géographique et à tel ou tel système juridique.

Monsieur le président,
Je suis reconnaissant d’avoir mérité la confiance de cette Assemblée, qui vient de me nommer procureur de la cour pénale internationale. Je compte sur vous tous pour m’aider dans l’exercice de mes fonctions.

Merci beaucoup.

Source: Bureau du Procureur

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