Déclaration: 7 novembre 2012

Discours prononcé par le Procureur de la CPI devant le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies à propos de la situation en Libye, en application de la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité

QUATRIÈME RAPPORT DU PROCUREUR 
DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE 
AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU 
EN APPLICATION DE LA RÉSOLUTION 1970 (2011)
 
English, Français, عربي

Monsieur le Président,

1. J’ai l’honneur de présenter au Conseil de sécurité le quatrième rapport sur les activités menées par le Bureau du Procureur en application de la résolution 1970. Comme il s’agit de ma première intervention devant ce Conseil, je souhaiterais lui exprimer toute ma gratitude pour sa décision rapide et unanime de déférer la situation en Libye au Bureau du Procureur afin de s’assurer que les responsables des crimes les plus graves rendent des comptes. Le débat portant sur les rapports qu’entretiennent le Conseil et la Cour, présidé par le Guatemala le mois dernier, illustre également la détermination du Conseil à nourrir des rapports plus soutenus entre les deux institutions et à améliorer leur compréhension mutuelle. Je suis disposée à coopérer avec le Conseil dans le cadre de nos efforts mutuels destinés à promouvoir la justice pénale internationale, à mettre un terme à l’impunité et à concrétiser notre quête commune d’instauration d’une paix durable.

Monsieur le Président,

2. À l’instar de mon Bureau, je demeure gravement préoccupée par la situation en Libye. Vous vous rappelez certainement que, suite à son renvoi par le Conseil et après que le Bureau a enquêté et présenté ses éléments de pr euve à la Chambre, les juges ont délivré trois mandats d’arrêt à l’encontre de Muammar Qadhafi, de Saïf Al-Islam Qadhafi et d’Abdullah Al-Senussi, le 27 juin 2011. Au mois d’avril, des membres libyens du Conseil national de transition ont informé le Bureau que les mandats d’arrêt avaient joué un rôle crucial en étalant au grand jour l’illégitimité des trois intéressés, au moment où l’opposition s’efforçait de dénoncer les crimes graves commis en Libye. Il n’y avait aucune chance que le régime de Qadhafi ouvre des enquêtes sur ces crimes et à l’époque, l’intervention de la CPI représentait la seule solution pour que justice soit rendue aux victimes du régime.

3. Les choses ont beaucoup évolué depuis que le Conseil a déféré la situation à la CPI. Saïf Al-Islam Qadhafi et Abdullah Al-Senussi ont tous deux été arrêtés et sont actuellement en détention. Les autorités libyennes ont contesté la recevabilité de l’affaire portée à l’encontre du premier et indiqué qu’elles avaient prochainement l’intention d’en faire de même dans celle engagée contre le second. Les 9 et 10 octobre 2012, les juges de la Chambre préliminaire I ont convoqué une audience afin que les autorités libyennes présentent oralement leurs observations au sujet de l’exception d’irrecevabilité soulevée dans l’affaire contre Saïf Al-Islam Qadhafi. La Cour a entendu l’Accusation, la Défense, les représentants légaux ainsi que les autorités libyennes qui ont affirmé enquêter sur les mêmes comportements que ceux qui font l’objet de l’enquête du Bureau et qui sont à présent examinés devant la CPI.

4. La Chambre préliminaire se prononcera au moment opportun sur le fond de cette exception d’irrecevabilité et décidera si l’affaire en question devrait être jugée par la CPI ou en Libye. Mon Bureau se félicite de la promesse des autorités libyennes de respecter la procédure judicaire et continuera à s’engager auprès de ces dernières dans les limites prescrites par le Statut.

5. Il convient de se rappeler et de souligner qu’au regard du Statut de Rome, il incomb e en premier lieu aux institutions nationales d’enquêter sur ces crimes et d’engager des poursuites, et que la CPI n’intervient que lorsqu’elles n’agissent pas véritablement ou n’ont ni la volonté ni la capacité de le faire. Néanmoins, comme la Chambre d’appel l’a indiqué précédemment, tout État qui soulève une exception d’irrecevabilité doit fournir à la Cour « [TRADUCTION] des éléments suffisamment précis et fiables démontrant que ses autorités mènent véritablement une enquête dans le cadre de l’affaire en question ».

6. Conformément à la politique qu’il s’est fixée, mon Bureau souhaite encourager l’ouverture de véritables procédures nationales afin de lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale. Nous attendons à ce jour que la Cour se prononce sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Libye. Si les juges considèrent que l’exception est fondée, mon Bureau surveillera ces proc édures et apportera sa coopération à la Libye, dans les limites de ma mission, afin de s’assurer de leur authenticité au fil du temps. Par contre, si la Cour estime que l’affaire doit être portée devant elle, je demanderai à la Libye son appui et sa coopération sans faille pour faire en sorte que les procédures engagées devant la CPI puissent aboutir et qu’elles soient considérées comme un succès par les Libyens, concernés au premier chef par ces procès.

7. Permettez-moi également d’insister sur le besoin constant de complémentarité et d’entraide pour combattre l’impunité, et sur l’utilité de faire usage de toute la panoplie de mécanismes de justice transitionnelle. À cet égard, je sollicite l’appui et le soutien de la communauté internationale pour renforcer la capacité de la Libye à juger les crimes du passé et à promouvoir l’État de droi t.

8. Je souhaite remercier le Gouvernement libyen de s’être engagé à coopérer avec la CPI et de s’être engagé activement dans le processus judiciaire. Je l’encourage à redoubler d’efforts dans l’intérêt de la justice. Mon Bureau mesure pleinement les diffic ultés inhérentes à la transition politique historique que connaît actuellement la Libye. Je crois que tout un chacun peut convenir que la justice doit demeurer un élément clé de cette transition. Si l’on envisage l’avenir au-delà des affaires actuellement portées devant la Cour, mon Bureau et le Gouvernement libyen peuvent encore agir ensemble dans de nombreux domaines afin de rendre véritablement justice aux victimes libyennes. J’appelle la communauté internationale et notamment ce Conseil à intensifier le urs efforts pour aider par tous les moyens possibles le Gouvernement libyen à combattre l’impunité et à renforcer la culture de l’État de droit. Je pense qu’en œuvrant ensemble, nous pouvons contribuer à faire face aux menaces, de l’intérieur et de l’extérieur, résultant de la criminalité passée ou présente, qui pèsent sur la sécurité en Libye et prouver au peuple libyen que la communauté internationale est disposée à lui prêter main forte dans les efforts qu’il déploie en vue d’obtenir justice et d’établir une paix durable.

9. Nous pensons que le Gouvernement libyen a opté pour une stratégie globale destinée à lutter contre tous les crimes et à mettre un terme à l’impunité dans le pays. Je l’encourage à en faire part au plus grand nombre et à coopérer avec ses principaux partenaires afin de connaître leurs réactions sur sa stratégie et de solliciter les vues et les préoccupations des victimes en Libye. La mise au point de cette stratégie dans un avenir proche constituera une autre étape importante pour la Li bye sur la voie de la démocratie et de l’État de droit.

10. Mon Bureau prend acte de la loi 38, qui accorde l’amnistie au niveau national pour les « actes rendus nécessaires par la révolution du 17 février » ainsi que de la loi 35, qui vise à s’assurer que tout acte constituant une violation du droit international et de conventions relatives aux droits de l’homme soit puni . J’encourage le nouveau Gouvernement libyen, qui doit prendre ses fonctions au cours des prochains jours, à s’assurer qu’il n’y aura pas d’amnistie pour les crimes internationaux et pas d’impunité pour les crimes, quelle que soit l’identité des auteurs et des victimes.

Monsieur le President,

11. Mon Bureau continue de recueillir des éléments de preuve qui pourraient s’inscrire dans le cadre d’une seconde affaire en Libye. Aucune décision n’a encore été prise quant à l’orientation de cette seconde affaire. Nous continuons de recueillir des informations sur des allégations de viols et de violence s sexuelles, commis à l’encontre d’hommes et de femmes, des allégations contre d’autres membres du Gouvernement Qadhafi pour des crimes commis au cours des événements de 2011 et des allégations de crimes commis par des forces rebelles ou révolutionnaires, y compris contre les habitants de Tawergha, contre des personnes hors de combat et contre des détenus. Je me prononcerai prochainement sur les axes prioritaires d’une éventuelle seconde affaire . Mon Bureau continue également d’évaluer la situation en matière de sécurité et notamment son impact potentiel sur les enquêtes en cours et sait gré au Gouvernement libyen de se porter garant de la sécurité de ses membres dans l’exercice de leurs activités sur le territoire libyen.

12. Au vu de ses ressources limitées et d’une charge de travail en constante augmentation, mon Bureau ne peut faire davantage pour aider la Libye à aller de l’avant : la destinée du peuple libyen est entre ses mains.

13. Je me réjouis de poursuivre le dialogue avec les autorités liby ennes et d’autres partenaires clés pour satisfaire aux exigences de transparence dans cette procédure judiciaire essentielle qui suit son cours.

Je vous remercie.

Source: Bureau du Procureur | Contact: [email protected]