Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, concernant la levée des scellés sur les mandats d'arrêt dans la situation au Kenya
Situation : La République du Kenya
Le 10 mars 2015, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale (la CPI ou la « Cour ») a délivré à l'encontre de Paul Gicheru et Philip Kipkoech Bett deux mandats d'arrêt sous scellés pour subornation de témoins de la CPI dans le cadre de la situation au Kenya, en application de l'article 70‑1-c du Statut de Rome. Suite à l'arrestation de ces deux suspects à Nairobi, et à la notification de celle-ci au Bureau du Procureur par les autorités kenyanes le 24 août 2015, la Chambre préliminaire II de la CPI a levé ce jour les scellés sur ces mandats d'arrêt.
La décision de la Chambre de délivrer ces mandats d'arrêt est particulièrement importante. Préserver l'intégrité des témoins est essentielle pour que la Cour puisse établir la vérité. Empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement ou exercer des représailles à son encontre constitue des crimes graves relevant de l'article 70 du Statut de Rome.
Dans sa décision portant délivrance de mandats d'arrêt à l'encontre de MM. Gicheru et Bett, la Chambre a conclu que les éléments présentés par l'Accusation suffisaient, au regard du niveau de preuve requis à ce stade de la procédure, à établir la participation des intéressés à un plan criminel élaboré et systématique ayant pour objectif d'approcher et de corrompre des témoins à charge par le biais de pots-de-vin et autres incitations, pour qu'ils renoncent à témoigner et/ou reviennent sur leurs précédentes déclarations aux représentants de l'Accusation.
La Chambre a donc estimé que les éléments de preuve présentés par l'Accusation établissaient des motifs raisonnables permettant de croire que MM. Gicheru et Bett étaient pénalement responsables, au titre des articles 70-1-c et 25-3 du Statut de Rome, du crime de subornation de six témoins à charge.
La Chambre a en outre décidé que l'arrestation des deux suspects était nécessaire pour garantir leur comparution au procès de sorte qu'ils n'entravent et ne compromettent pas l'enquête ou les poursuites et cessent de commettre les crimes en question.
Il convient de rappeler qu'il y a environ deux ans, le 2 août 2013, la Chambre préliminaire II avait délivré un mandat d'arrêt à l'encontre M. Walter Osapiri Barasa également pour subornation de témoins de la CPI, en application de l'article 70-1-c du Statut de Rome.
Tous ces mandats d'arrêt témoignent de mon engagement à faire tout ce qui est en mon pouvoir au regard du Statut de Rome pour préserver l'intégrité de la procédure devant la Cour. Mon Bureau enquête, identifie et poursuit les individus qui cherchent à entraver le cours de la justice devant la CPI.
Le chemin fut long et difficile depuis le 31 mars 2010, date à laquelle le Bureau a initié ses activités d'enquête au Kenya. Nous avons dû faire face à des obstacles considérables dans notre quête de vérité et volonté de traduire en justice les principaux responsables des crimes atroces commis contre des Kényans innocents durant les violences post-électorales de 2007 et 2008.
Les enquêtes et les poursuites menées en toute indépendance et impartialité par le Bureau dans le cadre de la situation au Kenya ont été méthodiquement sabotées dans une campagne menée avec acharnement contre les personnes assimilées à des témoins à charge, en usant de menaces ou de pots-de-vin pour les dissuader de témoigner ou les inciter à se rétracter.
En conséquence, des témoins potentiels étaient trop effrayés pour se présenter, tandis que d'autres ayant déjà fait des déclarations ont par la suite cherché à retirer leur témoignage prétextant avoir été victimes d'intimidations. À cet égard, la Chambre chargée du procès en cours de MM. Ruto et Sang a récemment noté le caractère systématique des manœuvres de subornation dont plusieurs témoins étaient victimes dans cette affaire.
Je suis convaincue que les autorités kenyanes vont s'acquitter de leurs obligations découlant du Statut de Rome et garantir la remise des trois suspects à la Cour de sorte que leur culpabilité ou innocence à l'égard des accusations portées contre eux puisse être établie par une cour de justice.
Mon Bureau continuera, avec les moyens mis à sa disposition dans le cadre de son mandat, à enquêter et prendra les mesures appropriées contre les personnes qui tentent d'entraver le cours de la justice en soudoyant des témoins de la CPI.