Déclaration: 27 janvier 2020

Réflexions du Président de la CPI, le juge Chile Eboe-Osuji, sur le 75ème anniversaire de la libération d'Auschwitz: « Plus jamais » ne doit pas être un mantra vain

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Le Président de la Cour, le juge Chile Eboe-Osuji

En tant que juge de la Cour pénale internationale (CPI), l'une des plus grandes leçons d'humilité et l'une des expériences les plus déterminantes professionnellement a été notre visite à Auschwitz il y a trois ans lors d'une retraite judiciaire. Un aspect particulièrement poignant de la visite a été de voir la salle remplie de vêtements ayant appartenu aux victimes. On leur avait demandé de retirer leurs chaussures et leurs lunettes avant d'être menés dans les chambres à gaz afin que l'incinération de leur corps puisse être effectuée plus efficacement, alors qu'on avait trompé les victimes en leur faisant croire qu'il s'agissait de « douches communes ».

Le monde devrait visiter Auschwitz plus souvent. Car le génocide commémoré par Auschwitz doit rester un témoignage durable de la capacité humaine du mal lorsqu'il est autorisé à s'effectuer librement.

Aujourd'hui, le 27 janvier 2020, le monde marque le 75ème anniversaire de la libération d'Auschwitz. Il est juste que les dirigeants mondiaux se réunissent comme ils l'ont fait jeudi dernier pour marquer cet anniversaire. Et nous devons tous réfléchir.

Une ligne directrice de l'ordre mondial après la Seconde Guerre mondiale - qui était contemporaine de l'Holocauste - était gravée dans l'engagement de « Plus jamais ». Oui, il convient de répéter que l'Holocauste reste le testament paradigmatique de la capacité humaine à faire le mal. En tant qu'engagement mondial, cependant, « Plus jamais » était censé s'opposer aux atrocités humaines d'une ampleur encore moindre - afin que l'humanité ne subisse plus jamais d'atrocités à l'échelle de l'Holocauste. Mais, est-ce que « Plus jamais » signifiait vraiment quelque chose? Ou était-ce simplement un baume égoïste envers l'apathie et l'inutilité du monde qui a apaisé et ravi un régime ayant détourné le génie et la force de l'une des nations les plus puissantes de la terre, pour laisser une marque de mal qui nous a tous dégradés? Il peut être significatif que dans les décennies qui ont suivi la libération d'Auschwitz, le monde a été témoin d'autres atrocités, sous la forme de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et, oui, de génocide.

C'est en subissant des événements comme le génocide contre les Tutsis rwandais et les crimes contre l'humanité commis en ex-Yougoslavie que le monde prendra enfin des mesures fermes qui donneront un instrument concret à l'engagement « Plus jamais ». Ce fut la création de la Cour pénale internationale.

En tant qu'engagement actif, « Plus jamais » est en effet un engagement provocant. Il communique une promesse de lutte ardue contre un ennemi adverse : le mal. C'est dans cette optique que les attaques politiques déployées contre la CPI, depuis le début de ses travaux en 2002, ont étrangement un certain sens. La CPI doit être autorisée à faire son travail sans se laisser distraire par les attaques dirigées contre elle dans une stratégie évidente d'intimidation. Mais il apparait peu judicieux d'espérer la fin des attaques politiques contre la Cour : car il n'y a pas de stratégie déjà prête pour les arrêter, sauf dans les cas où une attaque particulière franchit la ligne de la catégorie des atteintes passibles de poursuites en vertu de l'article 70 du Statut de Rome.

Il nous reste donc à reconnaître le sens de ces attaques politiques. Il est dans la nature du mandat de la CPI d'attirer la résistance - et cette résistance montre que la Cour fait une différence. Cela montre que la Cour ne peut être ignorée par ceux qui préfèrent laisser des victimes innocentes à la merci de crimes odieux.

Oui, il est du mandat même de la Cour de faire obstacle aux atrocités ; de s'opposer à elles. Et, oui, il vaut mieux que la Cour attire la colère des potentielles forces responsables de violations - et de ceux qui voient un intérêt à tolérer de telles violations – plutôt que leur feu d'enfer puisse s'abattre sans obstruction sur des victimes innocentes et sans défense. Ainsi, on peut se rassurer en réalisant que les attaques politiques contre la CPI sont un véritable signal que la Cour fait son travail comme elle le devrait, précisément en s'engageant dans la lutte inhérente au vœu de ne plus jamais recommencer.

Ce vœu exige que le monde résiste fermement et résolument contre le danger de l'antisémitisme et de tous les autres types de racisme et de sectarisme religieux, qui comportent toujours dans leur logique le risque associé de crimes d'atrocités motivés par eux. La CPI est un nouvel instrument mondial par lequel le monde peut prendre cette position.

Du point de vue de la CPI, le vœu « Plus jamais » est une responsabilité partagée à l'égard de laquelle la CPI est prête à jouer son rôle. Ceci exige que la CPI se place entre les victimes et les atrocités auxquelles le monde pensait lors de la création de la CPI, et ce même si cela implique d 'attirer des attaques politiques contre la Cour elle-même.

Et, pour sa part, le monde doit continuer à soutenir, de la manière la plus solide, cette institution de responsabilité qu'il a érigée comme monument au vœu réalisable que le monde ne devrait plus jamais permettre à notre humanité commune de commettre des génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression, et ce sans objection réelle.


Pour toute information complémentaire, veuillez contacter Fadi El Abdallah, Porte-parole et Chef de l'Unité des affaires publiques, Cour pénale internationale, au +31 (0)70 515-9152 ou +31 (0)6 46448938 ou à l'adresse [email protected].

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