Déclaration: 11 Décembre 2020

Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Mme Fatou Bensouda, au sujet de la conclusion de l’examen préliminaire de la situation au Nigéria

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​Aujourd'hui, j'annonce la conclusion de l'examen préliminaire de la situation au Nigéria.

Comme je l'ai déclaré l'an dernier lors de l'Assemblée annuelle des États Parties, j'ai l'intention, avant que je quitte mes fonctions de Procureur de la Cour pénale internationale (« CPI »  ou la « Cour »), de parvenir dans la mesure du possible à une décision concernant l'ensemble des situations qui ont fait l'objet d'un examen préliminaire sous mon mandat. J'avais alors affirmé qu'il était fort probable que plusieurs examens donnent lieu à l'ouverture d'une enquête et aujourd'hui, au terme d'une analyse rigoureuse, je suis en mesure d'annoncer que les critères prévus par le Statut de Rome pour l'ouverture d'une enquête dans la situation au Nigéria sont réunis.

En particulier, mon Bureau est parvenu à la conclusion qu'il existait une base raisonnable permettant de croire que des membres de Boko Haram et de ses groupes dissidents avaient commis les actes suivants constitutifs de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre: le meurtre; le viol; l'esclavage sexuel, y compris la grossesse forcée et le mariage forcé; la réduction en esclavage; la torture; les traitements cruels; les atteintes à la dignité de la personne; la prise d'otages; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d'une mission d'aide humanitaire; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à l'enseignement, des lieux de culte et des institutions similaires; le fait de procéder à la conscription et à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés et de les faire participer activement à des hostilités; la persécution pour des motifs sexistes et religieux ; et d'autres actes inhumains.

Même si mon Bureau admet que la grande majorité des crimes commis dans le cadre de la situation sont imputables à des acteurs non étatiques, il a également déterminé qu'il existait une base raisonnable permettant de croire que des membres des forces de sécurité nigérianes avaient commis les actes suivants constitutifs de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre: le meurtre, le viol, la torture et les traitements cruels; la disparition forcée; le transfert forcé de populations; des atteintes à la dignité de la personne; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités; la détention illégale ; le fait de procéder à la conscription et à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés et de les faire participer activement à des hostilités; la persécution pour des motifs sexistes et politiques; et d'autres actes inhumains.

De surcroît, ces allégations sont suffisamment graves, de par leur nombre et leur nature, pour que mon Bureau ouvre une enquête. Mon Bureau communiquera de plus amples détails dans son prochain Rapport annuel sur les activités en matière d'examen préliminaire.

Cet examen préliminaire se poursuit depuis de longues années, mais ce n'est pas parce que le Bureau a mis du temps à se prononcer sur les crimes commis au Nigéria, puisqu'il avait fait part dès 2013 de ses conclusions à ce sujet, et les a régulièrement mis à jour depuis lors. La longueur de cet examen préliminaire, ouvert depuis 2010, s'explique plutôt par le fait que mon Bureau s'est surtout attaché à soutenir les autorités nigérianes dans leurs activités menées à l'échelle nationale en vue d'enquêter sur ces crimes et d'en poursuivre les auteurs.

J'ai toujours été convaincue que, pour remplir au mieux les objectifs visés par le Statut de Rome, il était préférable que les États assument leur responsabilité première qui est de veiller à ce que les responsables des crimes rendent des comptent devant des juridictions nationales. J'ai maintes fois répété que j'espérais que l'appareil judiciaire nigérian soit en mesure de juger ces crimes. Nous sommes allés plusieurs fois en mission au Nigéria pour soutenir les actions menées à l'échelle nationale, avons fait part de notre analyse de la situation et avons invité les autorités à agir. Nous avons constaté que le Parquet nigérian avait, ces dernières années, engagé des poursuites contre des membres de Boko Haram, en grande partie des combattants de rang inférieur qui avaient été capturés, pour qu'ils répondent de leur appartenance à une organisation terroriste. Les autorités militaires m'ont également informée qu'elles avaient examiné les allégations portées contre leurs soldats avant de les rejeter.

J'ai accordé tout le temps qu'il fallait pour que ces procédures aboutissent sans jamais perdre de vue les exigences primordiales de collaboration et de vigilance qui doivent guider notre conception de la complémentarité. Cela étant, nous pensons qu'aucune de ces procédures n'est liée de près ou de loin aux types de comportement ou aux catégories de personne qui seraient susceptibles de faire l'objet de mes enquêtes. Certes, les autorités nigérianes peuvent toujours mener véritablement à bien des procédures appropriées, mais cela ne veut pas dire qu'en l'état actuel des choses, les conditions posées par le Statut sont remplies pour que le Bureau donne suite.

Notre prochaine étape consistera à demander aux juges de la Chambre préliminaire de la Cour de nous autoriser à ouvrir une enquête. Le Bureau se trouve dans une situation où plusieurs examens préliminaires ont atteint le même stade ou s'en approchent, à un moment où nous continuons de nous heurter à des difficultés dans nos opérations en raison, d'une part, de la pandémie de COVID-19 et, d'autre part, de notre capacité d'action limitée à cause des faibles ressources extrêmement sollicitées dont nous disposons. Nous subissons également les pressions exercées par cette pandémie sur l'économie mondiale. À cet égard, dans nos opérations à court terme, nous devrons faire des choix stratégiques en termes de priorités pour le Bureau, qui tiennent dûment compte des attentes légitimes des victimes, des communautés touchées et d'autres parties prenantes. Il s'agit d'une question que j'évoquerai également avec mon successeur dès qu'il sera élu, lors des discussions que je compte avoir au moment de la période de transition. Entre-temps, mon Bureau continuera de prendre les mesures qui s'imposent pour garantir l'intégrité des futures enquêtes dans le cadre de la situation au Nigéria.

La fâcheuse situation dans laquelle nous nous trouvons compte tenu des restrictions que nous subissons en termes de capacité montre bien les disparités qui existent entre les ressources dont dispose mon Bureau et les exigences toujours plus grandes auxquelles il doit satisfaire. Il s'agit d'une situation dans laquelle il convient non seulement d'établir des priorités pour le Bureau, pour lequel notre engagement reste entier, mais aussi d'engager de franches discussions avec l'Assemblées des États parties, et d'autres parties prenantes du système mis en place par le Statut de Rome, sur les véritables besoins en ressources de mon Bureau afin de pouvoir remplir efficacement son mandat.

Au moment de prendre ces nouvelles mesures dans le cadre de la situation au Nigéria, je compte sur le soutien total des autorités nigérianes, et plus généralement de l'Assemblée des États parties, dont dépend fondamentalement la Cour. En outre, pour ce qui des enquêtes à venir que nous mènerons dans l'exercice de notre mandat en toute indépendance et impartialité, j'espère aussi que nos échanges avec les autorités nigérianes seront fructueux et constructifs dans l'optique de déterminer comment servir au mieux la justice dans le cadre commun d'une action complémentaire à l'échelle nationale et internationale.

Le Bureau du Procureur de la CPI mène des examens préliminaires, des enquêtes et des poursuites à propos du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et du crime d'agression, en toute impartialité et en toute indépendance. Depuis 2003, le Bureau enquête sur plusieurs situations relevant de la compétence de la CPI, notamment en Afghanistan (demande de sursis à enquêter présentée au titre de l'article 18 en suspens), au Bangladesh/Myanmar, au Burundi, en Côte d'Ivoire, au Darfour (Soudan), en Géorgie, au Kenya, en Libye, au Mali, en Ouganda, en République centrafricaine (deux situations distinctes) et en République démocratique du Congo. Le Bureau conduit également des examens préliminaires à propos des situations en Bolivie, en Colombie, en Guinée, aux Philippines, en Ukraine et au Venezuela (I et II) et attend qu'une décision judiciaire soit rendue dans le cadre de la situation en Palestine.

Pour en savoir plus sur les « examens préliminaires » et les « situations et affaires » portées devant la Cour, veuillez cliquer ici et ici.

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