Déclaration: 27 février 2015

Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, lors d’une conférence de presse en Ouganda : la justice sera finalement rendue en réponse aux crimes de l’ARS

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Mesdames et messieurs, bonjour,

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'être là aujourd'hui. Comme vous le savez peut-être, j'ai déjà eu le privilège de me rendre en Ouganda par le passé en tant que procureur adjoint, mais c'est ma première visite officielle dans ce pays en qualité de Procureur de la Cour pénale internationale (la CPI ou la « Cour ») et c'est un honneur pour moi d'être ici.

Il est très important pour moi de me rendre personnellement dans les pays concernés par une situation relevant de la compétence de la Cour et ce, avant toute chose, pour y rencontrer, entre autres, les membres des communautés touchées, des autorités, de la société civile et des médias.

Je suis certaine que vous avez de nombreuses questions à me poser et je me ferai un plaisir d'y répondre après mon intervention.

Permettez-moi tout d'abord de vous rappeler d'où nous sommes partis, où nous en sommes à ce jour et dans quelle direction nous nous dirigeons, dans notre longue quête de justice en faveur des victimes des crimes commis par l'Armée de résistance du Seigneur (ARS).

Je tiens d'abord à assurer au peuple ougandais et, en particulier, aux habitants du nord du pays, ainsi qu'à la famille de M. Ongwen, que celui-ci sera traité avec dignité tout au long de la procédure engagée devant la Cour et jugé de façon équitable et impartiale selon les normes internationales les plus strictes, dans le respect absolu de l'ensemble de ses droits en tant qu'accusé. Un collège formé de trois juges indépendants entendra toutes les parties et appréciera tous les éléments de preuve et arguments qui lui auront été présentés avant de se prononcer sur cette affaire. À tout moment, il incombera à mon Bureau de prouver ce qu'il avance à l'encontre de M. Ongwen.

La République d'Ouganda a ratifié le Statut de Rome (le traité fondateur de la Cour) le 14 juin 2002.

Le 16 décembre 2003, dans l'exercice de son droit souverain reconnu par le Statut, le Gouvernement ougandais a déféré la situation dans le nord de l'Ouganda au Bureau du Procureur de la CPI.

La lettre de renvoi faisait état de l'ARS et il y était demandé que les membres de ce groupe armé qui avaient commis des crimes dans le nord de l'Ouganda soient traduits en justice.

Le Bureau du Procureur a fait clairement savoir au Gouvernement que toutes les parties au conflit dans le nord du pays feraient l'objet d'une enquête et qu'il se fonderait uniquement surles éléments de preuve recueillis pour déterminer qui serait poursuivi, quel que soit son statut, ou son affiliation.

Je tiens à souligner que nous mènerons, sans exception, nos enquêtes en toute indépendance et en toute impartialité. Nous avons toujours été guidés dans la poursuite de notre travail en Ouganda par ces mêmes principes et nous continuerons de l'être.

Le 28 juillet 2004, après avoir apprécié de manière rigoureuse si les conditions juridiques requises pour l'ouverture d'une enquête étaient réunies, le Bureau du Procureur a commencé à enquêter sur les crimes en cause perpétrés dans le nord de l'Ouganda.

Les éléments que nous avons recueillis montraient que des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, dont le meurtre et la mutilation à grande échelle de civils, l'enlèvement de dizaines de milliers d'enfants, ainsi que la réduction en esclavage sexuel et le viol de jeunes filles, avaient été commis par les membres de l'ARS dans toutes les régions du nord de l'Ouganda.

Ces éléments établissaient également que de hauts commandants de l'ARS, à savoir Joseph Kony, Dominic Ongwen, Okot Odhiambo, Vincent Otti et Raska Lukwiya portaient la plus grande part de responsabilité dans ces crimes à grande échelle.

Nous avons présenté les éléments de preuve dont nous disposions à un collège de trois juges indépendants et demandé l'arrestation de ces cinq personnes.

Après une évaluation et un examen minutieux des éléments en question, le 8 juillet 2005, les juges de la Cour ont délivré des mandats d'arrêt contre ces cinq commandants en chef.

Tous les chefs de l'ARS visés par un mandat d'arrêt de la CPI, dont M. Ongwen, devaient répondre de crimes qu'ils auraient commis à l'âge adulte.

Nous ne poursuivons pas d'enfants soldats pour des crimes commis quand ils avaient moins de 18 ans. Il s'agit d'une règle stricte posée par le Statut de Rome.

Nous pensons qu'un jour ou l'autre, Joseph Kony répondra devant la justice de l'enrôlement et du recrutement d'enfants, dont M. Ongwen, pour les faire participer à sa campagne de violences.

Pendant de nombreuses années, les troupes de l'ARS, sous le commandement de ces cinq chefs, ont continué à perpétrer des crimes atroces non seulement dans le nord de l'Ouganda, mais aussi en République centrafricaine (RCA) et en République démocratique du Congo (RDC).

Le 16 janvier 2015, les nombreux efforts coordonnés au fil des ans par les membres de la société civile, les gouvernements d'Ouganda, de RDC, de RCA et des États-Unis d'Amérique, ainsi que par l'Union africaine et la CPI, ont finalement payé, lorsque M. Ongwen, en fuite depuis près d'une décennie, a été remis à la Cour.

Son transfèrement envoie un message fort et clair, à savoir que, quel que soit le temps qu'il faudra, le Bureau du Procureur et la communauté internationale en général ne ménageront aucun effort pour s'assurer que justice soit finalement rendue aux victimes de crimes à grande échelle.

C'est encourageant pour la suite mais ce n'est que le début.

Permettez-moi d'adresser ce message à Joseph Kony :

Sortez de la brousse et encouragez d'autres membres de l'ARS à en faire de même. Arrêtez de commettre des crimes contre votre propre peuple et d'autres personnes, faites le bon choix et livrez-vous.

À la CPI, vous serez traité de manière équitable et impartiale, conformément aux normes de justice les plus strictes et dans le respect absolu de vos droits en tant qu'accusé. Vous avez l'occasion de plaider votre cause devant la Cour et de laisser la vérité jaillir à l'issue du processus judiciaire. La violence et la brutalité ne mènent à rien.

Je tiens également à faire passer un message clair à tous les autres combattants et partisans de l'ARS :

Vous n'avez rien à craindre de la CPI. Nous ne nous intéressons qu'à ces cinq hauts commandants qui sont sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour. Cessez ces violences et suivez une nouvelle voie plus prometteuse, qui vous offre un véritable avenir. Retournez dans vos familles, dans vos communautés et dans votre pays, et commencez à vous reconstruire. Il n'est pas trop tard.

Vous pourriez me demander ce qui va se passer maintenant dans l'affaire Ongwen.

Dans un premier temps, le 26 janvier 2015, M. Ongwen a comparu devant les juges de la Cour qui lui ont expliqué ses droits, dont celui de choisir librement son avocat. 

La prochaine étape sera l'audience de confirmation des charges. Bien que les juges aient provisoirement prévu qu'elle se tiendrait en août prochain, mon Bureau a demandé un report compte tenu des nombreuses années qui se sont écoulées depuis la délivrance des mandats d'arrêt en cause en l'espèce. Ce report supplémentaire peut également permettre M. Ongwen de mieux préparer sa défense.

Le processus d'aide à la préparation de la défense de ce dernier a démarré. Il s'agit notamment de lui fournir un avocat et une équipe de juristes, ainsi que toutes les informations dont il a besoin pour préparer sa défense, à l'instar des éléments de preuve à charge recueillis par mon Bureau.

Ce dernier a toujours tiré profit de la coopération intense fournie par les autorités ougandaises, et pour laquelle nous leur sommes redevables. Tout au long de ce processus, la poursuite de cette coopération avec mon Bureau et la Défense sera cruciale.

À la suite de ma réunion d'aujourd'hui avec des représentants du Gouvernement ougandais, je sais que celui-ci collaborera et soutiendra mon Bureau, la Défense et les représentants des victimes dans notre quête de justice équitable et impartiale pour le bien du peuple ougandais.

Je me réjouis également d'annoncer que, demain, je me rendrai dans le nord du pays où je rencontrerai des responsables de communauté et des chefs religieux, ainsi que des membres de communautés touchées à Gulu, Lira et Soroti, dans le cadre des efforts déployés pour expliquer notre travail et écouter les préoccupations des uns et des autres et y répondre. Je me réjouis vraiment à l'idée de ces rencontres.

J'ai veillé à ce que mon équipe se rende régulièrement en Ouganda et, en particulier, dans le nord du pays, pour poursuivre ses échanges avec les communautés affectées et les tenir toutes informées des derniers rebondissements de l'affaire tout au long de la procédure.

L'appel que je vous adresse et que j'adresse à tous les Ougandais, et notamment aux communautés touchées, est le suivant :

La justice suit son cours, lentement mais sûrement. Laissons-la se poursuivre. Nous devons considérer le processus judiciaire indépendant et impartial que nous offre la Cour comme un moyen de soulager les victimes des crimes à grande échelle et de leur permettre de tourner la page et comme un moyen de veiller à ce que les atrocités qui ont dévasté les communautés du nord de l'Ouganda ne se reproduisent plus jamais.

Nous sommes décidés à atteindre ces objectifs. Nous sommes résolus à ramener la paix et la stabilité en Ouganda grâce à l'action de la justice et à la reconnaissance de l'importance du sort des victimes et des communautés touchées. Merci de m'avoir écoutée.

Le Bureau du Procureur de la CPI mène des enquêtes et des poursuites à propos du crime de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, en toute indépendance et en toute impartialité. Il a ouvert des enquêtes en Ouganda, en République démocratique du Congo, au Darfour (Soudan), en République centrafricaine, au Kenya, en Libye, en Côte d'Ivoire et au Mali. Il conduit également des examens préliminaires à propos des situations en Afghanistan, en Colombie, en Géorgie, en Guinée, au Honduras, en Irak, au Nigéria, en Ukraine et en Palestine.

Matériaux audiovisuels 

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Source: Bureau du Procureur | Contact: [email protected]