La Maître d`œuvre

Imaginez le capitaine d'un navire au milieu d'une salle d'audience. C'est moi essentiellement. Quelqu'un ordonne que ce navire aille du point A au point Z, et je suis chargée de faire en sorte que cela se produise. Il faut tout un équipage à l'œuvre, sinon le navire n'ira nulle part. D'un point de vue pratique, pour m'assurer que nous suivons les ordres des juges et que tout se déroule comme prévu, je donne des directives à l'ensemble de l'équipe. Je suis un peu le coordinateur principal, l'interlocuteur pour toute demande qui arrive ou toute commande qui sort. Je suis la personne de contact ; et tous les regards du personnel sont tournés vers moi.

Je m'appelle Caroline et je suis l'une des deux Greffières d'audience de la CPI.

Pendant que la Cour est en session, nous coordonnons toutes les activités à l'intérieur de la salle d'audience. Pour faire ce travail, il faut aimer être au centre des choses. Vous êtes la personne la plus polyvalente que vous connaissiez. Idéalement, il vous faudrait 10 bras et mains ; mais comme cela est délicat, la meilleure chose que l'on puisse faire est de porter plusieurs casquettes. Pour vous donner une idée, voici une liste des 10 casquettes que je porte le plus souvent.

Organisateur

Il faut planifier une audience bien à l'avance. Vous êtes impliqué dès qu'un juge décide qu'il y aura une audience – que ce soit pour considérer l'autorisation d'une enquête, pour la première comparution d'un suspect au stade préliminaire, ou pour le premier jour du procès d'un accusé. Vous rencontrez le juge qui préside l'audience pour savoir comment vous allez recevoir et exécuter les ordonnances, afin que le juge sache que vous contrôlez la situation et le moindre détail. Vous assurez la liaison avec les parties, les participants et le personnel de soutien, afin que chacun dispose des documents et des informations dont il a besoin, qu'il connaît le calendrier et qu'il est prêt à fournir ses services. Chaque audience de la Cour requiert le travail d'environ 80 personnes, dont des sténographes, des interprètes, des personnes chargées de filmer les procédures, des agents de sécurité, des informaticiens, du personnel qui s'occupe du système électronique (« e-Court ») de la Cour, des personnes chargées de soutenir les témoins, du personnel chargé d'informer le public, etc.

Gestionnaire de preuves 

Avant que les preuves puissent être présentées en audience, vous les traitez sous forme électronique et physique. Vous vous assurez que les bonnes personnes aient accès aux preuves électroniques, en fonction de leur  niveau de confidentialité  Les preuves matérielles vous sont apportées sur un chariot pour être conservées dans le coffre-fort du Greffe. Vous êtes officiellement responsables de la garde des preuves. Vous portez des gants et vous assurez qu'elles soient correctement conservées. Il s'agit parfois de documents de plusieurs milliers de pages, dont vous devez parapher chaque page. Mais il y a aussi des photographies, des journaux intimes... en fait, il peut y avoir beaucoup de contenu troublant, étant donné la nature des crimes adressés par la Cour.

Ensuite, pendant l'audience, vous affichez les preuves sur les écrans de tout le monde. Avant de les montrer, il faut toujours vérifier si les preuves peuvent être rendues publiques ou si l'audience doit passer  en session à huis clos. Si vous me voyez me lever soudainement pour demander le niveau de confidentialité d'une preuve, c'est que je vérifie trois fois qu'elle puisse être rendue publique.  

Réparateur

Vous résolvez tous les problèmes qui surviennent – des questions juridiques aux questions pratiques – et vous faites en sorte d'éviter qu'ils aient lieu. Vous contrôlez la température de la salle d'audience, vous assurez que les lumières soient allumées, que les ordinateurs fonctionnent, etc. Si quelqu'un renverse de l'eau, vous vous assurez que cela soit nettoyé.

Planificateur

Tout doit fonctionner dans les temps. Cela signifie que vous vous coordonnez avec la sécurité afin que l'accusé se présente à temps à la Cour, que les témoins comparaissent comme prévu, que toutes les preuves soient prêtes à être présentées. Cela signifie également que vous soutenez les juges dans la gestion du temps : par exemple, vous veillez à ce que l'Accusation et la Défense aient le même temps alloué pour faire leurs déclarations d'ouverture, et vous signalez aux juges si le temps imparti est sur le point d'être dépassé. 

Procès-verbaliste

Vous êtes les yeux et les oreilles du Greffier dans la salle d'audience. Vous notez ce qui doit être rapporté au chef du Greffe et remettez les procès-verbaux après chaque audience. Vous les partagez aussi avec la Chambre.

Conseiller juridique

Vous êtes les gardiens des dossiers. Si, par exemple, une Chambre préliminaire renvoie une affaire en procès, vous rédigez les documents juridiques connexes pour que le Greffe mette en œuvre cette décision. Vous soumettez le dossier à la Présidence avec une demande de constitution d'une Chambre de première instance. Une fois que la Présidence émet son ordonnance : vous la mettez en œuvre en vue de la préparation du procès, vous créez de nouveaux groupes et droits d'accès – en quelque sorte, « créant » la Chambre de première instance dans le système électronique de la Cour.

Vous rédigez des conclusions juridiques pour le Greffe et conseillez les parties et participants sur leurs documents juridiques, afin qu'ils se conforment au Règlement de la Cour. Vous veillez à ce que chacun sache à quel document il a accès, en fonction de son niveau de confidentialité. Au cours des audiences, vous annotez également les transcriptions et mettez à jour les métadonnées de tous les documents ; en notant, par exemple, quand le document a été utilisé à la Cour, s'il a été reclassifié, s'il a été admis comme preuve, ou si quelqu'un s'est opposé à cette décision. 

Récepteur/ Distributeur

Tous les ordres et activités de la salle d'audience passent par vous. Vous recevez et prenez note de toutes les ordonnances des juges et les distribuez au service concerné du Greffe. Par exemple, si un juge ordonne qu'un extrait vidéo spécifique des audiences soit publié sur le site web de la Cour, ou que les victimes soient consultées sur une certaine question, vous vous assurez que l'ordonnance soit reçue et gérée par le personnel approprié de la CPI en fonction des délais fixés par les juges. Il existe également des ordonnances immédiates, par exemple lorsqu'un juge président ordonne un passage en session à huis clos. Vous transmettez instantanément ces ordres au reste du personnel de la CPI qui doit s'en charger.

Coordinateur de rédaction

Lorsque les transcriptions apparaissent en direct sur votre écran, vous devez tout suivre et aider en signalant toute modification nécessaire aux sténographes de la Cour. Ce que vous devez surtout surveiller, ce sont les éléments potentiels à expurger : si des déclarations qui auraient dû être confidentielles sont faites en public par inadvertance, en particulier si elles pourraient permettre l'identification d'un témoin protégé, quelqu'un dans la salle d'audience (un juge, une partie, un participant, ou moi-même) demandera qu'elles soient expurgées ou rendues inaccessible au public. Premièrement, il faut appeler la cabine audiovisuelle pour avertir qu'une expurgation est probablement en cours. Ensuite, dans la minute qui suit, il faut préparer l'ordonnance d'expurgation et, à l'aide d'une imprimante cachée sous nos tables, imprimer et remettre l'ordonnance au juge qui préside pour sa signature. Une fois signée, vous demandez à l'huissier d'audience d'apporter cette ordonnance à la cabine audiovisuelle et vous vous assurez que les déclarations soient expurgées à la fois de la transcription écrite et de la retransmission vidéo en ligne. S'il y a une objection à l'ordonnance d'expurgation, le juge doit rendre une décision avant que celle-ci soit appliquée. Vous devez donc vous tenir prêt. Tout cela doit se faire dans un délai de 30 minutes, autrement c'est trop tard. Voilà, vous savez dès à présent mon rôle dans le différé de 30 minutes dans la retransmission en ligne des audiences.      

Les expurgations ont lieu régulièrement, souvent plusieurs fois par heure. Une fois, il y en a eu huit en une heure, et la pression était intense. Elles doivent être faites à temps, correctement, tout en protégeant le caractère confidentiel de ce qui a été dit. Alors que je terminais la huitième expurgation, et que les questions confidentielles se poursuivaient, j'ai demandé respectueusement au juge président de passer en session à huis clos. C'est ce que nous avons fait.

Protecteur

Une grande partie du travail consiste à assurer la protection des témoins. Expurgations, sessions à huis clos, ordonnances : il s'agit en grande partie de créer un environnement dans lequel ils peuvent témoigner.

Maître d'œuvre

Au fond, vous soutenez toutes les mesures pratiques et logistiques qui doivent être prises pour que justice soit faite. Au bout du compte, il s'agit des preuves des parties et des participants, et de faire en sorte que les juges disposent de toutes les informations dont ils ont besoin pour prendre une décision sur une affaire. Nous coordonnons tout de manière à ce qu'ils puissent le faire.