Déclaration: 4 février 2020

Déclaration du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale prononcée lors de la conférence de presse à Dhaka (Bangladesh)

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Conférence de presse organisée par le Bureau du Procureur à Dhaka (Bangladesh)

Mesdames et Messieurs,

Nous vous souhaitons la bienvenue à cette conférence de presse et vous remercions de l'intérêt que vous portez aux activités de la Cour pénale internationale (la « CPI » ou la « Cour »). 

Je m'appelle Phakiso Mochochoko et je suis le directeur  de la Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération du Bureau du Procureur de la CPI. Ce n'est pas la première fois que le Procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, envoie une délégation au Bangladesh pour expliquer au grand public le processus judiciaire enclenché à la Cour. Vous vous souvenez certainement que mon collègue, le Procureur adjoint James Stewart, est venu ici l'année dernière, en juillet. Cependant, il s'agit aujourd'hui de la première visite d'une délégation du Bureau depuis l'ouverture d'une enquête officielle.

En novembre 2019, les juges de la CPI ont fait droit à la requête présentée par le Procureur Bensouda afin de pouvoir ouvrir une enquête approfondie sur les atrocités relevant de la compétence de la Cour dont les Rohingya auraient été victimes (voir aussi la déclaration du Procureur quant à la décision des juges de la CPI autorisant l'ouverture d'une enquête).

L'autorisation d'ouvrir une enquête représente une étape importante dans la quête de justice et de vérité, notamment pour les victimes des crimes qui auraient été commis dans cette situation. Il est tout à fait logique que, depuis l'annonce qui a été faite par la Cour, le grand public et vous ayez d'autres questions à nous poser. Nous sommes ici aujourd'hui pour vous donner des explications, répondre à toutes vos questions et vous dire pour l'essentiel à quoi vous pouvez vous attendre.

Alors, à présent, que va-t-il se passer ? Des enquêteurs du Bureau du Procureur vont chercher, de manière minutieuse et approfondie, à découvrir la vérité au sujet de ce qui est arrivé aux Rohingya au Myanmar, et de ce qui les a poussés à venir ici, au Bangladesh.

Sur quoi l'enquête portera-t-elle exactement ?

Cette enquête est pour le moins atypique puisque dans la situation en l'espèce, le Myanmar n'est pas un État partie à la Cour contrairement au Bangladesh. Les juges de la Cour ont néanmoins autorisé l'ouverture d'une enquête en fixant des critères étendues, ainsi qu'il est précisé dans leur décision. Le Procureur peut enquêter sur tout crime relevant de la compétence de la CPI et commis, au moins en partie, sur le territoire du Bangladesh (ou de tout autre État partie ou État qui accepterait officiellement la compétence de la CPI), dans la mesure où de tels crimes seraient suffisamment liés à la situation, et quelle que soit la nationalité de leurs auteurs.

À ce titre, l'enquête peut porter sur des crimes qui auraient été commis depuis juin 2010, date à laquelle le Bangladesh a rejoint la CPI, et sur de futurs crimes, pour autant qu'ils soient suffisamment en lien avec la situation en cause.

Aux seules fins de déterminer s'il convenait ou non d'autoriser l'ouverture d'une enquête, les juges de la Chambre préliminaire de la Cour ont convenu qu'il existait une base raisonnable permettant de croire que :

  • Depuis octobre 2016 au moins, des actes de violence généralisés et/ou systématiques ont pu être commis contre la population rohingya ; 
     
  • Ces actes coercitifs pourraient être qualifiés de crimes contre l'humanité de déportation et de persécution pour des motifs d'ordre ethnique et/ou religieux ; 
     
  • Ces attaques dirigées contre la population rohingya ont pu être commises dans le cadre de la politique d'un État ; et
     
  • Des membres des forces armées du Myanmar, ont pu commettre ces crimes conjointement avec d'autres forces de sécurité du Myanmar et avec la participation de membres de la population civile locale.

Le Procureur examinera également les allégations selon lesquelles des actes de violence auraient également été commis au Myanmar par le groupe armé de l'Armée du salut des Rohingya de l'Arakan (ARSA), et tentera de déterminer si les actes en cause pourraient être constitutifs de crimes relevant du Statut de Rome – le traité fondateur de la Cour – et si la CPI peut exercer sa compétence territoriale à leur égard.

La confidentialité est un aspect absolument fondamental des enquêtes du Bureau du Procureur et ce dernier ne sera pas en mesure de faire son travail correctement si celle‑ci ne peut être garantie. Je souhaite donc attirer votre attention sur le fait que, bien que notre visite intervienne après que nous avons reçu l'aval des juges pour commencer à enquêter, notre délégation n'est pas ici pour accomplir un travail d'enquête mais pour fournir des informations à la population rohingya, à la communauté hôte et au grand public.  

C'est notre façon de procéder lorsqu'une importante étape est franchie dans les situations que nous examinons. Toutefois, aucune information détaillée concernant les méthodes employées et l'état d'avancement de nos recherches ne sera rendue publique pendant toute la durée de l'enquête qui est désormais en cours. Mon Bureau et la Cour informeront le grand public de l'évolution de la situation au moment opportun.

En outre, nous ne commenterons pas les rumeurs relatives à des aspects spécifiques de l'enquête. À cet égard, nous vous demandons de vous abstenir d'alimenter les différentes spéculations et rumeurs dans la couverture médiatique de ce sujet. La confidentialité est cruciale, non seulement pour l'intégrité de l'enquête mais aussi pour la sécurité de toutes les personnes concernées, notamment les victimes et les témoins.

Nous menons toutes nos enquêtes en toute indépendance, impartialité et objectivité et nous travaillons dans le strict respect de la loi et des niveaux de preuve en vigueur.

Nous prendrons le temps nécessaire pour enquêter et mettre au jour les faits tels qu'ils se sont produits. La justice répond à de nombreuses attentes mais elle ne peut répondre à toutes les doléances du peuple rohingya. Elle ne peut rendre des êtres chers à ceux qui les ont perdus en raison de la violence. Elle n'aura pas de répercussions directes sur leurs conditions de vie dans les camps. Elle n'influencera pas le cours actuel de leur vie. En revanche, le Procureur de la CPI peut rassembler des éléments de preuve dans le cadre de cette enquête et présenter la situation aux juges à La Haye, aux Pays‑Bas. Avec votre concours, nous souhaitons tout mettre en œuvre pour relater leurs expériences afin qu'elles ne tombent pas aux oubliettes et que notre enquête approfondie puisse permettre de traduire en justice les personnes portant la plus lourde responsabilité dans la commission des crimes en cause. C'est notre mandat et notre objectif.

Pour conclure, au nom du Procureur Bensouda et de son Bureau dans son ensemble, je souhaite témoigner ma profonde gratitude aux autorités du Bangladesh pour le soutien crucial que nous avons reçu lors de la visite de notre délégation, notamment grâce au Ministère des affaires étrangères. Au cours de la semaine passée, nous avons rencontré les principales parties en cause avec lesquelles nous avons eu des discussions, au sein de ministères et d'institutions, dans la capitale et à Cox's Bazar. Nous avons également eu des échanges très constructifs avec des organisations de la société civile, des organisations internationales, ainsi que la communauté diplomatique présente au Bangladesh. Nous vous remercions sincèrement de nous avoir permis d'organiser ces rencontres qui se sont avérées très fructueuses.

Nous comptons sur le soutien et la collaboration continus des parties concernées dans le cadre de nos enquêtes indépendantes.

Le Bureau du Procureur de la CPI mène des examens préliminaires, des enquêtes et des poursuites à propos du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et du crime d'agression, en toute impartialité et en toute indépendance. Depuis 2003, le Bureau enquête sur plusieurs situations relevant de la compétence de la CPI, notamment au Burundi, en Côte d'Ivoire, au Darfour (Soudan), en Géorgie, au Kenya, en Libye, au Mali, en Ouganda, en République centrafricaine (deux situations distinctes) et en République démocratique du Congo. Le Bureau conduit également des examens préliminaires à propos des situations en Colombie, en Guinée, en Iraq/Royaume-Uni, au Nigéria, en Palestine, aux Philippines, en Ukraine et au Venezuela. Pour en savoir plus sur les « examens préliminaires » et les « situations et affaires » portées devant la Cour, veuillez cliquer ici et ici.

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Source: Bureau du Procureur | Contact: [email protected]